Derrida, ayant la tête trop bien faite, est de ceux qui ont fait avancer le poétique plus que la poésie. Et Guillaume Artous-Bouvet lui emboîte le pas.
Et ce, dans le genre type de l’essai qui se veut le summum de la postmodernité “catachrétique”.
Se retrouvent là tous les poncifs engrangés par l’auteur de De la grammatologie qui poussa son souci de la “différance” à mettre un coin entre lui-même et ceux qui avaient poussé le poétique dans des langues obtues pourtant intéressantes (de Novalis à Lacan).
Existe là tout un verbiage savamment étiqueté pour faire retour à la verbalisation derridienne. Le livre se veut une aide “médicale” à la déconstruction poétique qui est devenue une sorte d’éthique de l’esthétique. Il y a là bien à prendre et surtout à laisser entre poncifs et hypothèses plus ou moins douteuses.
L’auteur y fait forcément l’éloge de la déconstruction : pour lui elle est “indéconstructible”. Et le poétique — via Derrida -, “la trajectoire d’une errance vers le plus irréductible de l’étrangeté”. Bref, elle doit cultiver l’invention. En passant toutefois sous des fourches caudines.
Jaillissent des chemins tortueux pour énoncer quelque chose de simple. Mais c’est peut-être bien ce qui différencie le poétique de la poésie. Faut-il rappeler combien le premier est superfétatoire ? Il n’est que discours. Tout est là un bien étrange jeu de logos.
Entre autres, pour en finir avec Rousseau, Hegel et Heidegger. On pensait que c’était fait depuis longtemps. Et — suprême paradoxe -, Guillaume Artous-Bouvet rend à son insu leur approche sympathique.
Tout nous ramène à des visions qui firent florès dans les années 60–70 du siècle passé. Refaire du poème sous l’égide de Jabès l’expérience décisive de sa propre limite là où le sujet se brise et s’ouvre en se représentation reste une panacée. Se retrouve là des torrents théoriques du passé où Artaud, parmi d’autres, est broyé par une moulinette bien inutile.
L’auteur empile donc des poncifs. Du type et par exemple : “il n’y a pas d’essence de la littérature, de vérité de la littérature, d’être littéraire de la littérature mais la nécessité d’une lecture”. Nous voici revenus dans ce qui fit la gloire de Derrida et son Glas. Et cela sonne un peu comme la nuit des vivants morts plus que des morts-vivants.
Il est temps de passer les Ponge et Celan. Leur singularité n’eut rien d’exceptionnelle. Ils restèrent dans une chape ou une châsse que Derrida hier et Guillaume Artous-Bouvet aujourd’hui continuent à façonner. Et s’il existe des “cendres” aux flammes (romantiques ou autres) et du secret à chercher, ce n’est pas en un tel logos.
La lecture d’un Beckett sera par exemple d’un bien plus grand profit. Ou encore Mallarmé, réduit ici à une portion congrue de relique de la cause qu’il défendit. Elle est bien plus intéressante que ce que les poéticiens déconstructivistes en retirent.
jean-paul gavard-perret
Guillaume Artous-Bouvet, Derrida, le poème — De la poésie comme indéconstructible, Hermann éditeurs, Paris, 2022, 162 p. — 24,00 €.