L’histoire culturelle est tout à la fois découverte et redécouverte. Combien de peintres, de compositeurs, d’artistes et d’auteurs ont subi les dures lois de l’incompréhension de leurs contemporains, et celles du purgatoire et de l’oubli ?
Monique Wittig fait partie de ce long cortège des refusés, des effacés injustement. Et puis, à un moment, le présent se retrouve dans une parole, un acte d’écriture : l’accomplissement d’une résonance advient enfin.
Monique Wittig naît en 1935, en Alsace. Elle reçoit le prix Médicis pour son roman L’opoponax en 1964. D’autres romans suivront et en 1976, elle publie aux côtés de l’américaine Sande Zeig, le Brouillon pour un dictionnaire des amantes. Elle participe activement au mouvement féministe et lesbien, qui irradie la fin des années 60 et les années soixante-dix en France et aux Etats-unis où elle s’installera.
Wittig écrit aussi pour le théâtre (trois pièces radiophoniques) et en 1984 paraît Le voyage sans fin, dans le supplément de la revue féministe Vlata, qui sera représenté pour la première fois au Haybarn Theater de Goddard College dans le Vermont et monté ensuite au petit Théâtre du Rond-Point à Paris. Aujourd’hui, les éditions Gallimard, dans la collection L’imaginaire, redonne vie à ce texte hors du commun.
Wittig éclaire lectrices et lecteurs sur ses intentions dans une brochure accompagnant son texte proposé sur une scène universitaire dans sa version anglaise The constant journey. Elle rappelle ainsi combien l’écriture dramatique à travers les siècles a trouvé sa matière dans des thèmes antiques grecs et latins ou plus tard chez un Shakespeare. Avec Le Voyage sans fin, Wittig se tourne elle vers le roman espagnol de Cervantès, Don Quichotte, écrit au tout début du dix-septième siècle.
Il ne s’agit pas de simplement réécrire, de transposer mais d’aller plus loin en « refabriquant des héros d’un nouveau genre ou plutôt des héroïnes puisque le chevalier à la triste figure et son fidèle Sancho deviennent deux femmes : Quichotte et Panza. Deux comédiennes les incarnent dont Sande Zeig dans le rôle de la « guérillère » de la Mancha. Tous les personnages sont d’ailleurs au féminin : les deux principales héroïnes ainsi que la tante, la mère la sœur 1 et la sœur 2 ; d’un côté les combattantes, les amazones et de l’autre celles qui refusent l’émancipation, n’acceptent pas cette utopie d’un monde délivré du pouvoir des hommes. Il s’agit du combat de la libération des femmes mais aussi d’agir avec « panache ».
Cette entreprise va bien plus loin et constitue comme une prodigieuse invention de mise en œuvre théâtrale. Il s’agit de dissocier gestes et mots en les traitant séparément. Il y a une bande-son textuelle et une action scénique. Cette bande son se nourrit des voix des comédiennes sur scène ou en dehors du plateau. Le langage du cinéma use naturellement de ces dissociations ( musique, voix off etc). La pièce proposera des séquences de décalage et des séquences de symétries.
La pièce est architecturée de la manière suivante, en son début :
SON (SOUND TRACK) : 1. Il faut brûler les livres //
IMAGE (ACTION SUR SCENE) : Quichotte à sa lecture
Quinze courtes séquences avec leurs titres établissent la trame et un tempo rapide, burlesque. Le langage est un matériel puissant au service de cette réalité contestataire du monde menée par les chevaliers errants et que la majorité qualifie de folie.
Quichotte est une battante ; elle défend ses convictions, s ‘en prend aux injustices parce que les moulins à vent sont bien réels. Les prisonnières en ce bas monde ont subi le droit de cuissage, doivent se prostituer pour survivre, avorter d’un enfant non désiré…
Le « texte spectacle » se multiplie cédant sa place un temps, à un jeu de marionnettes avec son narrateur. Quichotte célèbre les Amazones et leurs amours, Jeanne d’Arc ou les filles d’Israël comme Deborah. Elles sont la liberté, le courage et l’antidote à la folie du monde.
L’émergence du mouvement #metoo et les manifestations diverses autour des prises de paroles des femmes, des lesbiennes permet sans doute, à l’oeuvre de Monique Wittig, de trouver toute sa place, de faire entendre à nouveau, sa voix si singulière et créative. On espère un jour, revoir dans un théâtre Le voyage sans fin, le bien nommé.
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marie du crest
Monique Wittig, Le Voyage sans fin, 2022, Gallimard, collection l’Imaginaire, 120 p. — 8,00 €.
Les romans sont édités aux éditions de Minuit,
Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Grasset, Les cahiers rouges, 1976
Paris-La –Politique et autres histoires. P.O.L, 1999
La pensée Straight, éditions Balland, 2001
Monique Wittig est morte en 2003.