En France, la figure du pape Pie VII est certes connue mais d’une manière presque voilée. N’est-il pas ce pape placé par David à l’extrémité du tableau du sacre, à peine visible malgré son blanc manteau ? N’est-il pas ce pontife dont le même David fit un portrait plein de douceur et de mélancolie ?
Pas un pape combattant en tout cas, comparé à l’irascible Pie XI et au puissant Jean –Paul II ! Et pourtant…
La lecture très plaisante de la biographie que Jean-Marc Ticchi, grand spécialiste de la papauté, nous fait découvrir la réalité de ce personnage qui résista à Napoléon, sans aucune division pour reprendre une formule célèbre, désarmé, isolé et emprisonné. Un moine d’une douceur peu commune, un évêque habile, sachant céder sur l’accessoire pour sauver l’essentiel face à l’occupation des Français apportant en Italie la tourmente révolutionnaire, un pape élu loin de Rome à la suite d’un long conclave de trois mois, choisi pour débloquer une situation inextricable.
Le pape qu’on n’attendait pas et qui se trouva confronter à la puissance française incarnée dans un général décidé à devenir empereur.
La question impériale occupe, on s’en doute, la majeure partie du livre (sans que les autres aspects du pontificat ne fussent mis de côté). L’auteur décrit avec minutie la lente dégradation des relations entre Pie VII et Napoléon au cœur de laquelle se trouvait la question de la souveraineté temporelle de la papauté que l’Empereur ne supportait plus et à laquelle le pape ne pouvait renoncer.
Certes, Jean-Marc Ticchi insiste sur le fait que Napoléon n’ordonna pas l’enlèvement de Pie VII — mais seulement celui du cardinal secrétaire d’Etat. Il n’empêche. L’Empereur en assuma les conséquences et retint le vicaire du Christ prisonnier à Savone, puis à Fontainebleau.
Ce qui ressort très bien du livre, c’est d’une part la détermination de Pie VII à ne pas céder — ou à revenir sur sa décision dès qu’il lui arrivait de le faire — avec cette obstination qu’ont parfois les faibles, mais aussi parce qu’il défend ce qui ne lui appartenait pas : le patrimoine de Saint-Pierre, sans lequel l’exercice spirituel de l’autorité pontificale est entravée. D’autre part, le tournant que constitua ce difficile pontificat est bien mis en lumière : romanisation du clergé français au détriment du gallicanisme, restauration des Jésuites, vénération de la figure papale.
Et enfin, cette histoire confirme la puissance de l’Eglise catholique, la force de la papauté qui, même tombée bien bas, survit à ses ennemis. D’autres Moloch, bien pires encore, viendront plus tard, au XXème siècle, et s’y casseront eux aussi les dents.
Oui, ce doux pape fut bien un des vainqueurs de Napoléon comme Jean-Paul II le sera, à sa manière, du communisme : par la puissance spirituelle.
frederic le moal
Jean-Marc Ticchi, Pie VII. Le pape vainqueur de Napoléon ?, Perrin, avril 2022, 384 p. — 23,00 €.