Robayna aime cultiver l’effusion des sentiments et un certain goût de l’imprécision comme pour éviter les coups du temps et leur retour.
Bref, il s’agit d’éviter la pression si bien que la poésie devient un sas de digression face à tout ce qui est et qui fatalement nous emporte vers la mort.
D’où la recherche d’une langue ailée. Cependant, elle creuse et fait le vide. C’est une poétique du syphon contre ce qui pèse et plombe. Le langage prend à la traînée le monde et lui répond en l’emplissant de signes. C’est comme enfiler une robe sur un squelette. Histoire de tenir encore par le principe d’équivalence du poétique.
Il permet de marcher comme en apesanteur face à la bêtise crasse de ce qu’on accepte — mais par obligation — de croire dans notre orbite céleste.
Aux formes de gravité qui bornent nos visions — sortes de capteurs fissurés -, aux sons qui nous assourdissent voire aux paraboles admises, Robayna donne non une assise ou une verticalité mais un espace de différenciation. Parfois le poète se trompe — lorsque par exemple il croit que l’amour est une forme de connaissance. Mais chaque écrivain garde ses faiblesses.
Néanmoins, l’auteur sait où sa langue finit et où elle commence. A savoir dans la physique des fluides et de la matière. D’où la trajectoire de génie ou d’un pilote qui ne sait pas ce qui le conduit (ce qui est un peu la même chose). L’aspect opérationnel et céleste de ce texte mystique déroute tant les conditions d’apesanteur placent le lecteur sur une trajectoire très particulière de nos durées bien courtes — avant de se retrouver en chute libre sur le sable et dans la nuit.
jean-paul gavard-perret
Andrés Sánchez Robayna, Par la vaste mer, traduit de l’espagnol & postfacé par Claude Le Bigot, édition bilingue, Editions Le Taillis Pré, 2022, 128 p. — 15,00 €.