Un techno-thriller anti-Obama
Réputé pour des ouvrages tels que Hypérion, Ilium, L’échiquier du mal ou encore Terreur, Dan Simmons est un écrivain prolifique qui n’a pas sa langue — non plus que sa plume — dans la poche. Il le démontre une nouvelle fois avec ce roman à la charnière de la dystopie et de la géopolitique fictionnelle mâtiné d’un brin de cyberpunk, le tout visiblement inspiré par des théories anti-keynésiennes et le Choc des Civilisations de Samuel Huntington.
Nous sommes en 2035, dans un monde hostile désormais ravagé par la crise financière mondiale qui a débuté dans les années 2000 et qui est dominé par un Japon industriel surpuissant grâce aux valeurs traditionnelles de son Moyen Age qui résistent au pouvoir pourtant radical du Califat musulman dominant au Moyen– orient tandis que Israel a été rayé de la carte et que les USA, dévastés, sont devenus le champ de bataille où les Hispaniques tentent la Reconquista d’une partie de la Californie et du Nouveau-Mexique. La guerre fait rage en Asie du sud-est et en Chine où la jeunesse américaine est contrainte de servir la cause militaire du Japon.
Il faut dire que les Américains ont déserté la place et abandonné le combat depuis longtemps, sous l’addicton quasi permanente à une drogue, le Flashback donnant son nom au roman, qui permet de(re)vivre constamment dans le passé les moments que l’on choisit — à la carte — plutôt que d’affronter la dure réalité. Chacun survit comme il peut… Ne déroge pas au lot l’ex-inspecteur de Denver Nick Bottom, transformé en épave depuis la mort accidentelle de sa femme quelques années plus tôt, incapable de gérer son fils de 16 ans confié à son beau-père, vieux professeur émerite de l’Université, et que le milliardaire Hiroshi Nakamura charge d’enquêter, à l’aide son mercenaire-bras droit Sato, sur la mort de son jeune fils Keigo, ayant eu lieu dans des circonstances non élucidéés il y a 6 ans. Une enquête déjà menée dans le « passé » par Bottom et qui devrait connaître des rebondissements grâce au pouvoir du Flashback, lequel est devenu pour le flic décati une seconde nature…
La trame du roman, nerveuse et dense, repose sur l’état d’esprit de Bottom, empruntant son nom à une rêverie célèbre du shakespearien Songe d’une nuit d’été, junkie égaré entre présent réel et souvenirs infinis. L’enquête prend rapidement la forme d’un techno-thriller speedé aux multiples observations ultra-polémiques à l’égard du néo-capitalisme forcené. Par delà l’imbrication entre différents niveaux de réalité qui sont la norme de ce type de récit, comme K. Dick ou Priest savent en jouer par exemple, ou les descriptions très techniques de l’armement des milices engagées dans le combat pour le contrôle de la Californie, Simmons insiste, la chose est assez plaisante, pour rendre hommage aux auteurs littéraires (Proust, Shakespeare, Borgès…) et aux vieux films d’antan (Mad Max et les westerns notamment) qui ont survécu dans un monde d’analphabètes shootés à la fuite dans le passé. Les références seventies constituent bientôt un des derniers repères qui restent face au chaos total qui pourrait bien engloutir l’humanité dans son entier — une humanité représentée par trois générations différentes de personnages dont chacun porte un oeil critique dissemblable sur le sens du moment présent (force indéniable de l’histoire).
Si l’on ne partage pas forcément, dans cette sombre vision huntingtonienne d’un monde décadent, la critique sévère — à la limite du populisme dérangeant — menée par l’auteur de la présidence d’Obama (en particulier des réformes gauchisantes induites par son programme de santé), il faut reconnaître que l’écriture de Flashback emporte avec brio le lecteur, loin des méandres de la socio-politique américaine ultra-libérale, sur les terres de l’imaginaire et du plaisir littéraire.
Ce mélange pamphlétaire assumé entre fiction angoissante, politique corrompue et culture surannée peut certes surprendre au premier abord mais il constitue en définitive une agréable et efficace surprise. Raison en est que le recours au Flashback permet justement d’approfondir le passé de chacun des protagonistes en introduisant une sorte de vortex à l’égard duquel il n’est pas si évident que cela au lecteur de prendre ses distances…
L’on ne saura, de fait, jamais vraiment, lisant ces pages, pourquoi les États-Unis, perclus de dettes, ont abandonné leur souveraineté, pourquoi l’Union Européenne envahie par une immigration venue du Moyen-Orient a été intégrée dans le “bloc islamiste”, pourquoi la Chine s’est divisée entre de multiples seigneurs de guerre en conflit incessant. Mais demeure la description on ne peut plus pessimiste d’un avenir qui concrétise toutes les phobies du moment : démembrement des États-Unis à cause du terrorisme omniprésent, montée des latinos face aux w.a.s.p, islam radical lancé à la conquête du monde, faillite de l’État-providence par la faute de programmes sociaux démesurés, immigration clandestine aussi galopante qu’irréversible. Et pour finir, soumission totale des citoyens à la drogue et aux intérêts asiatiques.
Inutile donc de chercher ici une réflexion aboutie sur la géopolitique ou sur l’économie, Flashback se lit comme un (bon) roman d’anticipation et de contre-utopie politiquement incorrect (louchant semble-t-il vers le Georges Panchard de Forteresse), rien de plus. Mais, mis à part de gênantes coquilles (Daichu au lieu de Daichi Omua page 441 ; an au lieu d’un AllPad p. 356 ; Camara au lieu de Camaro p. 433 etc.), on a déjà lu/vu pire.
frederic grolleau
Dan Simmons, Flashback, Robert Laffont, trad. de P. Dusoulier (collection : Ailleurs et Demain), mai 2012, 525 p. — 22,50 €
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