Un témoignage plus que bouleversant
Il est rédigé à quatre mains entre Sara Daniel, écrivaine et grand reporter à L’Obs, et Benoît Kanabus, ancien chercheur au Fonds national belge de la recherche scientifique. Tous deux ont couvert les événements qui ont amené à l’émergence du califat, Kanabus ayant vécu la bataille de Mossoul aux côtés des chrétiens, Kurdes, Yézidis.
C’est en Jordanie, en avril 2017, à Amman qu’à lieu la première rencontre avec celle qui veut qu’on l’appelle Marie. Au fil des entretiens, elle va raconter ce qu’elle a vécu entre le 7 août 2014 et le 16 octobre 2016 comme Sabiya, c’est-à-dire esclave.
Son martyre a commencé au premier étage d’une maison, au nord de Mossoul, où les djihadistes ont réuni cinquante-trois femmes venant des montagnes du Sinjar ou des quartiers riches de Qaragosh. Peu importe leur passé, elles sont devenues des corps offerts à l’avidité sexuelle.
Marie est donnée à un notable, un vieil iman. Elle hurle pendant tout le trajet. Il tente de la posséder mais, impuissant, il ne sait que la frapper encore et toujours. Aidé du viagra, il la violera. Elle est enfermée, humiliée, privée de liberté, presque affamée.
Les narrateurs alternent les souffrances vécues par Marie, achetée par treize propriétaires, avec le récit de sa vie, la montée en puissance de Daech, l’attitude des musulmans irakiens face aux chrétiens. Ce sont des insultes, des menaces pour les amener à se convertir, c’est la cupidité, l’attrait pour les possessions, l’envie d’un luxe dérisoire, le temps des rapts et des demandes de rançons. “Les chrétiens représentaient 3 % de la population en 2003, mais 40 % des médecins et 33 % des ingénieurs. La colonne cérébrale du pays. Ils étaient un million et demi : il en reste aujourd’hui à peine deux cent cinquante mille.”
C’est la conquête de Mossoul, la fuite de nombreux chrétiens. Ils sont rançonnés, dépouillés. Marie sera capturée à Qaragosh. Commencent alors, les viols, les tortures, la violence. Elle tente de s’enfuir et se casse la cheville gauche. Son attelle n’arrête pas les mauvais traitements.
Le califat autorise la débauche sexuelle immédiate (il n’est plus nécessaire d’attendre les soixante-douze vierges du Paradis), ce qui explique, en grande partie, son pouvoir d’attraction. Il a même fait rédiger, dans sa barbarie bureaucratique, un manuel d’esclavage sexuel. Marie va l’apprendre par cœur car il va régler sa vie au jour le jour. Car c’est une belle femme, blonde aux yeux clairs, très recherchée par les djihadistes.
Elle va passer de tortionnaires en tortionnaires, donnant à chacun un qualificatif : le vieux, le jeune, le maquereau, le gros, le coupeur de têtes, l’avocat, le journaliste, l’Allemand, le Français… C’est grâce à Yohanna, le directeur de l’ONG Hammurabi qui sauvait les captifs aux mains des djihadistes, qu’elle sera libérée. Mais ses souffrances ne sont pas finies. L’Église a honte car elle est devenue une femme impure.
C’est le pacte du silence. Il ne faut rien révéler. “La famille ne lui pardonnera jamais cette confession qui l’entraîne dans le “déshonneur” (sic !)”
Elle continue de bénéficier des soins et opérations du gynécologue, de l’orthopédiste, de l’ophtalmologiste… C’est volontairement que califat, contrairement aux règles de la grammaire française, ne prend pas de majuscule car une telle structure, et ses horreurs, ne la mérite pas.
Ce récit est insoutenable par moments. Il dénonce ces atrocités commises, ces agissements odieux. Sa lecture devrait être obligatoire dans toutes les démocraties pour que soit révélée la vérité.
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serge perraud
Sara Daniel & Benoît Kanabus, La putain du califat, J’ai Lu n° 13 405, février 2022, 224 p. – 7,00 €.