La véritable histoire des Années folles !
L’image véhiculée sans cesse pour définir cette période est celle d’un vent de folie, les bals, la musique, la danse, les jazz-bands… Ce cliché est sans doute valable pour une infime minorité de la population car la réalité est tout autre. Ce sont les traumatismes, les dépressions, les cauchemars, la culpabilité de ceux qui sont revenus.
Louis Aragon n’écrit-il pas en 1956 : “Je suis mort en août 1918. Ça va faire trente-huit ans que pour moi tout est fini.” Les années folles, l’expression a vu le jour en 1932, venant des États-Unis. Elle qualifiait plutôt une croissance, une effervescence économique et culturelle. Et la formule s’impose définitivement à la fin des années 1950. Or, elle ne décrit que la vie d’un microcosme d’affairistes et d’artistes.
Après l’armistice, la France est ruinée, endettée jusqu’au cou. Une grande partie de son territoire est totalement détruit. La saignée, dans la population, va mettre une génération à s’estomper. Le pays se retrouve isolé diplomatiquement par de nouveaux jeux d’alliances.
Et danse-t-on sur 1 500 000 morts ? Ceux qui ont perdu un proche, un fils, un mari, un père ont-ils le cœur à rire ? Ce que l’on voit, dans les rues, ce sont des cohortes de femmes en noir, des gueules cassées, des estropiés, des handicapés. Un enfant sur douze est orphelin…
Si quelques nantis, profiteurs de guerre, vivent dans des hôtels particuliers sur les Champs Élysées, les habitants d’Arras, d’Amiens, de Reims… habitent des caves, des cabanes.
Jean-Yves Le Naour pour l’étude de cette période distingue trois cycles. Dans ce qu’il appelle Le boulet de la guerre, au lendemain de l’armistice, il développe le poids des morts sur la population, les ruines à relever ainsi que les mutations économiques, sociales et culturelles qui s’imposent. Il retrace la politique nataliste pour repeupler le pays, la mobilisation du ventre des femmes. Mais la peur sur la dépopulation se double d’une autre angoisse, celle de l’émancipation des femmes, la crainte qu’elles ne revendiquent l’égalité.
Puis, dans une seconde partie, baptisée La paix introuvable, la période de 1920 à 1923, il revient sur la bataille de la Ruhr, le chaos allemand. La situation est précaire. La sécurité n’est pas assurée face à une Allemagne revancharde. Dans un troisième volet qui scrute les années 1924 à 1929, c’est Le temps de l’espérance avec l’espoir d’une aube nouvelle. Mais c’est aussi le mur de l’argent.
La France qui, hier encore, était le banquier du monde a vu son endettement multiplié par quatre en cinq ans, de 35 à 140 milliards de franc-or. Pendant quelques temps, les responsables s’illusionnent, pensant que l’Allemagne va payer, comme elle le doit au titre des dommages de guerre. Mais, elle fait la sourde oreille.
Les États-Unis qui, avec le japon, se sont gavés d’or, exigent le remboursement des prêts consentis. L’Allemagne ne paie pas, protégée par une Angleterre pressée de la voir revenir dans le concert des nations pour relancer son commerce.
Puisant aux meilleures sources documentaires, avec un art du récit qui transforme l’ouvrage d’un historien en un texte presque aussi en tension qu’un thriller, Jean-Yves Le Naour éclaire de façon magnifique ces années d’après la Grande Guerre.
Il donne une vision plus réaliste, bouscule ces clichés entretenus sur une décennie bien plus tragique que l’Histoire actuelle veut montrer et rectifie sans concession les mythes les plus ancrés.
serge perraud
Jean-Yves Le Naour, 1922–1929. Les années folles ?, Éditions Perrin, février 2022, 416 p. – 25,00 €.