Dans les complots de Florence
Mêlant l’Âge d’or artistique de Florence, un goût pour les mystères enfouis et un intérêt pour la ville, Chiara Montani, dans son premier roman publié, raconte une histoire imbriquée profondément dans la vie quotidienne des artistes. Elle restitue avec brio l’ambiance dans laquelle ils évoluaient.
Mais, elle s’attache à montrer le côté sombre de l’époque, les discordes politiques et sociales, la corruption, la cupidité, les vices et l’horreur, la compétitivité qui faisait rage.
Alors qu’il est à Rome où il travaille pour le cardinal Bessarione, Piero della Francesca reçoit en juillet 1458, un parchemin cacheté. Celui-ci contient une étrange médaille et un texte alarmant de Domenico Veneziano. Piero part immédiatement pour Florence, bien qu’il se soit juré de ne jamais retourner dans cette ville.
Lavinia, la nièce de Domenico, voudrait être peintre, une activité interdite aux femmes. Cependant, en secret, elle est initiée par Francesco, l’assistant de son oncle. Si les premiers contacts entre Lavinia et Piero se passent mal, il lui reconnaît, quand il découvre ce qu’elle a réalisé sur un coffre, un certain talent.
Mais, entretemps, Domenico et Francesco ont été arrêtés, accusé du meurtre du banquier chez qui ils réalisaient une fresque. Lavinia, persuadée de l’innocence de son oncle va faire équipe avec Piero. Les meurtres se multiplient, les plaçant au premier rang des accusés.
Comment peuvent-ils déjouer ce complot qui les menace, un complot qui prendrait source dans une fresque que Domenico et Piero, alors son élève, auraient commencé sans jamais la finir…
S’appuyant sur des faits historiques et artistiques avérés, Chiara Montani a conçu une œuvre d’une belle imagination. Elle articule son histoire avec deux peintres qui ont marqué leur époque mais dont on ne sait presque rien. D’abord Domenico Veneziano dont les œuvres encore disponibles montrent une forte influence de la perspective associée à une luminosité solaire sans égale dans la Florence de l’époque.
Il eut pour élève le plus célèbre, Piero della Francesca pour qui les connaissances biographiques sont minces. Beaucoup de ses œuvres ont disparu. Son tableau le plus mystérieux reste La Flagellation du Christ qui suscite nombre de controverses parmi les critiques d’art.
La romancière intègre, pour des rôles non négligeables, le cardinal Bessarione, qui failli être pape par deux fois, Cosimo de Médicis, Paolo Ucello… Avec ces personnages, auxquels elle associe étroitement une héroïne imaginaire au fort caractère, elle construit une intrigue d’une belle rouerie, mêlant l’authentique à la fiction avec maestria.
Son complot est riche en liens, en racines et en données sur l’époque, sur Florence et sur quelques cités italiennes.
Montani propose nombre de descriptions sur l’art d’employer les pigments, sur leur usage, leur préparation, la manière de les mettre en œuvre. Elle détaille les symboliques exprimées dans les fresques, les messages que les artistes tentaient de faire passer.
Lavinia est un hommage à toutes les pionnières, à toutes ces femmes qui se sont imposées dans le monde de la peinture, monde dont elles étaient exclues.
Avec ce polar historique documenté, érudit, la romancière impose une intrigue subtile, fouillée, retorse, jouant avec les codes picturaux, avec un sens remarquable du récit.
serge perraud
Chiara Montani, Le Mystère de la fresque maudite (Il Mistero della pittrice ribelle), traduit de l’italien par Joseph Antoine, Fleuve noir, coll. “Thrillers”, mars 2022, 368 p. – 20,90 €.