Suivant une ligne discursive solide, Laurent Girerd se trouve néanmoins happé par toutes sortes de courants. Il y a de sa part des clins d’œil aux fantômes que nous sommes. Il devient ainsi d’un livre à l’autre l’expert de nos obsessions impératives, manies, rites, inhibitions, phobies.
Chaque fois, il récrée une histoire qui s’est endormie dans une histoire plus générale. Et c’est comme si, avec un tel poète, nous sommes toujours au milieu d’une phrase perdue dans le sommeil mais dont il permet de retrouver le point de capiton là où la vie multiplie des obstacles.
Ses livres permettent de les sauter, si bien sûr nous acceptons sa sapience.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Savoir que je vais ouvrir les yeux sur du nouveau d’où jaillira ou non le genre d’inattendu qui éclaire le cours des jours.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant sont des rêves d’adolescent de 17 ans. Ils ont pris forme quand j’ai découvert la littérature. Tant que je reste proche d’elle, je ne m’éloigne pas d’eux.
À quoi avez-vous renoncé ?
À un statut, une position sociale.
D’où venez-vous ?
Des livres qui m’ont élevé.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Le goût des rapports simples.
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
M’allonger le soir pour me détendre en pensant au dernier cigarillo que j’ai fumé il y a sept ans.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Peut-être le besoin paradoxal de mutisme voire d’effacement.
Comment définiriez-vous votre approche de la poésie ?
Une lente et laborieuse mise en ordre d’un chaos linguistique originel.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Pas vraiment une image, plutôt l’odeur des cuirs travaillés par le cordonnier dans la minuscule boutique où je me rendais avec ma mère.
Et votre première lecture ?
Au cours moyen, en dehors de la sphère familiale : Le Merveilleux Voyage de Nils Olgersson à travers la Suède, Selma Lagerlöf.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Blues, rock, chanson française ; musiques slaves et orientales.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“La Sensibilité individualiste”, Georges Palante.
Quel film vous fait pleurer ?
“Billy Elliot”, l’amour sans faille d’un père pour son fils.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Le temps goguenard qui me fixe.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À la personne à qui je n’ai jamais eu envie d’écrire.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Trieste : la Mitteleuropa, l’entrecroisement des cultures et des langues. Terre d’écrivains s’il en est : Boris Pahor, Italo Svevo et tant d’autres !
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Philippe Jaccottet, R.M. Rilke, Yannis Ritsos, Gustave Roud, Paul de Roux, Robert Walser, Marc Bernard, Joë Bousquet… En peinture : Pierre Bonnard, Raoul Dufy.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un coup de fil de Guy de Maupassant.
Que défendez-vous ?
Pour reprendre Max Stirner, « je n’ai mis ma cause en rien ».
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Pas grand-chose, sinon de la tristesse.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
J’hésite entre facétie verbale et hymne enjoué à accueillir ce qui se présente.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
À quel animal vous identifieriez-vous ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er avril 2022.