Dans un essai bien documenté et stimulant, Alphée Roche-Noël revisite l’histoire de France à travers le prisme de la lutte du “peuple” contre le monarque, du “Commun” contre “l’Un”, du pouvoir populaire contre le pouvoir exécutif.
Si je partage bien des constats de l’auteur, je diverge sur la conclusion à laquelle son récit très intéressant nous conduit.
Sa thèse est la suivante : les campagnes comme les villes ont, depuis le Moyen Age, cherché à se gouverner elles-mêmes. Cette aspiration, très forte dans le monde urbain, s’est heurtée à la construction du pouvoir royal dans un sens centralisateur, autoritaire, et bientôt absolutiste. Alphée Roche-Noël décrit très bien le mécanisme par lequel la monarchie française a pris une voie contraire à celle de sa rivale anglaise par son refus d’un système représentatif.
Un rôle qu’auraient pu assumer les Etats-Généraux, davantage les assemblées de notables, plus que le Parlement de Paris.
Tout cela est très bien analysé. Et on ne peut que partager le regret de l’absence d’une monarchie parlementaire à la française au profit d’un absolutisme qui étouffa en partie les aspirations politiques des couches sociales élevées du pays.
La Couronne a su avec habileté profité de la séparation de la société en trois ordres (la trifonctionnalité) bien représentée aux États Généraux pour en faire le support de son pouvoir.
C’est là que, selon l’auteur, se situe le problème. Il voit dans l’alliance entre le “peuple” et la bourgeoisie urbaine pendant la Guerre de Cent Ans le moment où les vues du “Commun” ont vraiment prévalu, avant que ce dernier ne fût victime de ce que l’auteur appelle “une trahison de la bourgeoisie”, dans une vision un brin néo-marxiste. Bref, à partir de ce moment-là, le Commun eut à lutter seul et désarmé contre l’Un.
Ce combat trouva alors son aboutissement dans la Commune de Paris de 1871 que Alphée Roche-Noël rattache directement aux luttes communales du XII siècle et à la Commune insurrectionnelle de Paris de 1792.
Ne cachant pas son admiration pour cette période “où le peuple [a] été authentiquement souverain”, il en décrit la “maturité de l’organisation populaire et démocratique” sans dire un mot des tueries d’otages, de l’exécution des prêtres et du grand incendie de la capitale.
Une même indulgence apparaît sur la période révolutionnaire qui a pourtant vu la Convention exterminer un “peuple” en Vendée, après l’avoir exclu du “Commun” si je comprends.
L’exécration de l’auteur pour le pouvoir exécutif fort le conduit à une condamnation de la Ve République contre laquelle il reprend l’argumentaire classique de la “dictature à la romaine”, “où les contre-pouvoirs ne sont pas de taille à faire obstacle au gouvernement d’Un seul”, où le “Commun” subit une “concentration insensée des pouvoirs”.
Il est certain que la Ve République pose question, que le déséquilibre des pouvoirs est tel qu’on en arrive aujourd’hui à une centralisation en faveur du président qui mérite une réflexion de fond. Est-ce une raison pour rêver à la Commune de Paris et à la démocratie directe?
Non, reprenons plutôt le fil de l’histoire là où elle a déraillé en rêvant au meilleur des régimes, au plus équilibré : la monarchie parlementaire anglaise.
frederic le moal
Alphée Roche-Noël, La France contre le monarque. De l’An Mil à nos jours, Passés/Composés, mars 2022, 288 p. — 22,00 €.