David Foenkinos, La famille Martin

La vie ordi­naire n’est-elle pas un for­mi­dable roman ?

Un écri­vain tra­vaille sur un roman autour des ate­liers d’écriture. Mais les mots ne viennent pas et ses per­son­nages l’ennuient. Il se remé­more ces séances de dédi­caces où des lec­teurs lui sug­gèrent d’écrire sur leur vie assez extra­or­di­naire. Il décide de : “…des­cendre dans la rue, arrê­ter la pre­mière per­sonne venue…
Il pense alors à cette employée de l’agence de voyages en bas de chez lui. Elle est sou­vent sur le pas de la porte à fumer. Mais l’inconnue est absente. Il voit une femme âgée, tirant un cha­riot de courses. Il l’aborde, expli­quant en quelques mots ce qu’il sou­haite. D’abord inter­lo­quée par une telle demande, elle lui pro­pose de venir chez elle car elle doit mettre des ali­ments au congé­la­teur.
Dans son salon, elle se pré­sente comme Made­leine Tri­cot et répond à ses ques­tions. Et, de fil en aiguille (com­ment résis­ter à un tel enchaî­ne­ment ?) il va entrer dans sa vie, dans celle de sa famille, de ses amies, de ses relations…

C’est ainsi que David Foen­ki­nos va racon­ter la vie d’une famille choi­sie par le plus grand des hasards. L’existence quo­ti­dienne d’un groupe de per­sonnes réelles est-elle aussi roma­nesque que celle de per­son­nages de fic­tion ? Les indi­vi­dus de chair et d’os vivent-ils des évé­ne­ments, des situa­tions, bien aussi cap­ti­vants que les pro­ta­go­nistes sor­tis d’une ima­gi­na­tion fer­tile ?
C’est ce que veut démon­trer le roman­cier avec ce récit.

Mais, sur quel niveau se place l’écrivain ? Est-il le nar­ra­teur ou ce conteur n’est-il pas, lui aussi, un per­son­nage fic­tif ? Et David Foen­ki­nos joue à mer­veille sur cette ambi­guïté, sur cette inter­ro­ga­tion, ne lais­sant à aucun moment per­cer ses véri­tables mobiles.
Sa pré­sence ne perturbe-t-elle pas tou­te­fois le cours des choses ? Le com­por­te­ment de cha­cun face à un tel témoin est-il tou­jours aussi natu­rel ? Et celui qui se croyait le maître du jeu ne se retrouve-t-il pas empê­tré dans des fils qu’il pen­sait tis­ser, qu’il croyait tirer ?

L’auteur dépeint une famille comme il y en a des mil­liers, avec ses per­cep­tions, ses secrets, la vie pro­fes­sion­nelle dif­fi­cile ou épui­sante, les non-dits, les dis­putes, les ini­mi­tiés, les amours, les regrets voire les remords, les sen­ti­ments qui s’étiolent, la recherche ins­tinc­tive d’un nou­veau départ, les désar­rois.
Le passé, le pré­sent, le futur sont décrits avec la viva­cité et l’humour dont le roman­cier régale ses lec­teurs depuis de nom­breuses années. Les dia­logues sont enle­vés, l’écriture souple, légère sert le rythme des péri­pé­ties comme son art de la for­mule, de l’image qui fait mouche.

Avec cette famille Mar­tin, le roman­cier fait vivre à son lec­teur un moment de pur plai­sir de lecture.

serge per­raud

David Foen­ki­nos, La famille Mar­tin, Folio n° 7016, jan­vier 2022, 272 p. – 8,20 €.

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