Anthony Trollope, L’Ange d’Ayala

Une lec­ture émi­nem­ment réjouissante

Les lec­teurs qui ont décou­vert les édi­tions récentes d’œuvres de Trol­lope (Le Châ­teau du Prince de Poli­gnac et Un Amour de jeu­nesse chez L’Herne, Quelle époque ! et Le Doc­teur Thorne chez Fayard, tous recen­sés ici) vont se retrou­ver à la fois en ter­rain fami­lier et sur­pris au fil des pages de L’Ange d’Ayala. De fait, ce roman rap­pelle les pré­cé­dents par sa pein­ture iro­nique de la société anglaise et de l’obsession de l’argent ; en revanche, il est en quelque sorte plus léger, plus enjoué, plus proche de la comé­die et donc inat­tendu dans la manière dont il s’éloigne pro­gres­si­ve­ment de la gra­vité.
Le récit com­mence sur une situa­tion assez dra­ma­tique : deux jeunes sœurs, Ayala et Lucy, res­tées orphe­lines, se retrouvent sépa­rées l’une de l’autre, l’aînée ayant été choi­sie pour être receuillie par un oncle et la cadette par une tante. L’une de leurs familles d’adoption est riche et assez bien pla­cée sur le plan mon­dain ; l’autre foyer repré­sente pra­ti­que­ment l’exact contraire, s’agissant d’un couple de petits bour­geois qui vivent de façon spar­tiate. Est-ce dire que l’une des sœurs vivra heu­reuse et l’autre mal­heu­reuse ? Non, car les riches parents s’avèrent plu­tôt pénibles, autant que les pauvres mais à leur manière bien par­ti­cu­lière, et décident au bout d’un cer­tain temps qu’ils se sont trom­pés de nièce et qu’il vaut mieux faire un échange d’orpheline.
Ces évé­ne­ments se com­pliquent en rai­son des amours ou des aspi­ra­tions des jeunes filles, dont l’une rêve à un « ange » qu’elle n’a jamais croisé et fuit les pré­ten­dants qui vou­draient la rendre heu­reuse, tan­dis que l’autre aspire à se marier avec un jeune sculp­teur ami de leur défunt père, mal­heu­reu­se­ment tout aussi désar­genté qu’elle. Pro­gres­si­ve­ment, le côté cocasse des per­son­nages secon­daires et des péri­pé­ties prend le des­sus sur la part dra­ma­tique de l’intrigue ; Trol­lope enchaîne une série de situa­tions impré­vi­sibles et tou­jours plus drôles qui vont lui per­mettre, de fil en aiguille, de tout arran­ger à la fin. On n’en dira pas plus quant à l’intrigue, pour lais­ser au lec­teur le plai­sir de décou­vrir ces revirements.

Quoique cer­tains per­son­nages puissent paraître trop sty­li­sés (à la limite du gro­tesque), l’auteur a réussi à pré­ser­ver l’équilibre entre la satire et la finesse psy­cho­lo­gique dont il fait montre, non seule­ment à tra­vers la vie inté­rieure des deux sœurs, mais aussi en décri­vant les tour­ments de trois de leurs pré­ten­dants. C’est en somme la jeune géné­ra­tion qui est le plus ample­ment et le plus fine­ment repré­sen­tée, ce qui donne au roman une fraî­cheur par­ti­cu­lière et nous per­met de remar­quer en pas­sant que, mal­gré leur côté bien de leur temps, ces jeunes per­son­nages sont assez proches de nous. Béa­trice Vierne, la tra­duc­trice de L’Herne, est tou­jours excel­lente. Elle a su trans­crire toutes les nuances savou­reuses de l’humour et de l’introspection de Trol­lope.
Bien que ce roman soit en défi­ni­tive moins com­plexe et pro­fond que cer­taines autres œuvres du même auteur, on ne peut que le conseiller aux lec­teurs qui ne le connaissent pas, comme à ceux qui ont lu ses chefs-d’œuvre : c’est un récit émi­nem­ment diver­tis­sant, qui porte à l’optimisme mal­gré son aspect désa­busé. En somme, sa lec­ture est propre à vous remon­ter le moral, tout en vous pro­cu­rant un vif plai­sir littéraire.

agathe de lastyns

Anthony Trol­lope, L’Ange d’Ayala, tra­duit de l’anglais (Royaume-Uni) par Béa­trice Vierne, L’Herne, avril 2013, 664 p.- 23,00€

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