Une lecture éminemment réjouissante
Les lecteurs qui ont découvert les éditions récentes d’œuvres de Trollope (Le Château du Prince de Polignac et Un Amour de jeunesse chez L’Herne, Quelle époque ! et Le Docteur Thorne chez Fayard, tous recensés ici) vont se retrouver à la fois en terrain familier et surpris au fil des pages de L’Ange d’Ayala. De fait, ce roman rappelle les précédents par sa peinture ironique de la société anglaise et de l’obsession de l’argent ; en revanche, il est en quelque sorte plus léger, plus enjoué, plus proche de la comédie et donc inattendu dans la manière dont il s’éloigne progressivement de la gravité.
Le récit commence sur une situation assez dramatique : deux jeunes sœurs, Ayala et Lucy, restées orphelines, se retrouvent séparées l’une de l’autre, l’aînée ayant été choisie pour être receuillie par un oncle et la cadette par une tante. L’une de leurs familles d’adoption est riche et assez bien placée sur le plan mondain ; l’autre foyer représente pratiquement l’exact contraire, s’agissant d’un couple de petits bourgeois qui vivent de façon spartiate. Est-ce dire que l’une des sœurs vivra heureuse et l’autre malheureuse ? Non, car les riches parents s’avèrent plutôt pénibles, autant que les pauvres mais à leur manière bien particulière, et décident au bout d’un certain temps qu’ils se sont trompés de nièce et qu’il vaut mieux faire un échange d’orpheline.
Ces événements se compliquent en raison des amours ou des aspirations des jeunes filles, dont l’une rêve à un « ange » qu’elle n’a jamais croisé et fuit les prétendants qui voudraient la rendre heureuse, tandis que l’autre aspire à se marier avec un jeune sculpteur ami de leur défunt père, malheureusement tout aussi désargenté qu’elle. Progressivement, le côté cocasse des personnages secondaires et des péripéties prend le dessus sur la part dramatique de l’intrigue ; Trollope enchaîne une série de situations imprévisibles et toujours plus drôles qui vont lui permettre, de fil en aiguille, de tout arranger à la fin. On n’en dira pas plus quant à l’intrigue, pour laisser au lecteur le plaisir de découvrir ces revirements.
Quoique certains personnages puissent paraître trop stylisés (à la limite du grotesque), l’auteur a réussi à préserver l’équilibre entre la satire et la finesse psychologique dont il fait montre, non seulement à travers la vie intérieure des deux sœurs, mais aussi en décrivant les tourments de trois de leurs prétendants. C’est en somme la jeune génération qui est le plus amplement et le plus finement représentée, ce qui donne au roman une fraîcheur particulière et nous permet de remarquer en passant que, malgré leur côté bien de leur temps, ces jeunes personnages sont assez proches de nous. Béatrice Vierne, la traductrice de L’Herne, est toujours excellente. Elle a su transcrire toutes les nuances savoureuses de l’humour et de l’introspection de Trollope.
Bien que ce roman soit en définitive moins complexe et profond que certaines autres œuvres du même auteur, on ne peut que le conseiller aux lecteurs qui ne le connaissent pas, comme à ceux qui ont lu ses chefs-d’œuvre : c’est un récit éminemment divertissant, qui porte à l’optimisme malgré son aspect désabusé. En somme, sa lecture est propre à vous remonter le moral, tout en vous procurant un vif plaisir littéraire.
agathe de lastyns
Anthony Trollope, L’Ange d’Ayala, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Béatrice Vierne, L’Herne, avril 2013, 664 p.- 23,00€