Quand la littérature underground prend à la gorge
En trois saisons géologiques à fort potentiel sismique — qui ont moins besoin d’hirondelles pour s’annoncer que des chevaux moteurs (de 4 L) ou d’une vieille arondelle : à savoir une jument nommée Photomaton pour les faire vibrer -, une horde est sauvage est en stage mouvant au pays de la stase sous les stucs de camouflage d’un grandiloquent apparat et parfait charabia de diversion dont Crab et Botta offrent bien plus que dix versions.
Y vont le terrible, les remugles, bruits de fond, fracas et autres séismes. Le temps semble le grand absent — sauf s’il a tel Scylla un toit ouvrant en son centre. Dès lors, les époques plutôt que de tourner sur elle-même trouvent en “le Aphone” un instrument qui, s’il insonorise la queue de l’alphabet, sodomise tout le reste.
C’est dire que le pays d’Aase “à trois heures de cheval de Brkilûkwaya” devient celui où tout est permis. S’ échancrent des ventres et le ciel.
Reste à sauver de qui peut l’être en espérant que seuls des habits ont été tués ou encore que des chemises sans coeur tiennent lieu de chorale ou de choeur pour un “Quotidien Temporel” lourdement censuré mais pas forcément eu égard à Supérette sorte de Guenièvre. La dite urbaine permet au narrateur de “retrouver sa bite dans son lit” sans la réduire à une chose obscène ni en faire un Graal Saint qu’on ne saurait voir.
Les mots pucerons rendent le lecteur coprophage tant un tel corpus transforme la langue officielle en fille de mauvaise vie. Tout y est agencé pour fouiller de l’intérieur les êtres et le monde et tester leur disparition.
Les têtes ne sont parfois qu’une énorme goutte d’eau et tout semble sur le point de crier famine au moment où la langue devient poing. En conséquence, celle qu’on nomme maternelle se transforme en fils “fucking” par deux écrivains prodigues et pas seulement d’émotions romantiques.
Durant ce périple praticien et lourd en préjudices, la jument suit les héros au milieu d’un lacis de terminaisons nerveuses là où un marcel à quatre aisselles laisse loin derrière les 4 ailes d’une Renault que rien n’arrête — même pas ses freins. Si bien que la fiction devient une aire de stockage de plusieurs pentes.
C’est formidable : la littérature underground prend à la gorge. Elle est plus profonde que jamais.
L’excentricité reste de toutes les combinaisons. Elles révèlent, révisent et révulsent un monde pour le moins animé et laminé. La langue devient jardin sauvage, glossolalie d’où jaillissent des bribes de sens.
Ses règles ne sont pas dans la tradition — même la plus avancée. Tout fonctionne exactement mais de manière à peu près impossible à décrire.
Toutefois, la lectrice ou le lecteur s’habitue très vite à une telle sauvagerie, abîme de perplexité même pour les plus excités. Et ce, parce qu’avant d’être étrange, la fiction est joyeuse, joueuse, jaillissante, audacieuse, inventive, libre, giboyeuse, et définitivement plus lumineuse qu’absconse.
C’est comme un cri lâché là où la forme expulse la folie et ses miasmes. Ils n’ont rien de délétères : ils restent avant tout sardoniques là où le chemin de l’enfer est semé de mauvaises intentions et de bonnes inventions en raison de débordements de particules particulières — et ce n’est là qu’oeufémisme.
Ils mettent de l’agilité dans les statuaires les plus austères et du leurre dans le leurre en un tel Austerlitz littéraire.
jean-paul gavard-perret
Jean-Daniel Botta &Philippe Crab, En pays d’Aase, Editions Louise Bottu, Paris, 2022, 150 p. — 14,00 €.