Jean-Daniel Botta & Philippe Crab, En pays d’Aase

Quand la lit­té­ra­ture under­ground prend à la gorge

En trois sai­sons  géo­lo­giques à fort poten­tiel sis­mique — qui ont moins besoin d’hirondelles pour s’annoncer que des che­vaux moteurs (de 4 L) ou d’une vieille aron­delle : à savoir une jument nom­mée Pho­to­ma­ton pour les faire vibrer -, une horde est sau­vage est en stage mou­vant au pays de la stase sous les stucs de camou­flage d’un gran­di­lo­quent appa­rat et par­fait cha­ra­bia de diver­sion dont Crab et Botta offrent bien plus que dix versions.

Y vont le ter­rible, les remugles, bruits de fond, fra­cas et autres séismes. Le temps semble le grand absent — sauf s’il a tel Scylla un toit ouvrant en son centre. Dès lors, les époques plu­tôt que de tour­ner sur elle-même trouvent en “le Aphone” un ins­tru­ment qui, s’il inso­no­rise la queue de l’alphabet, sodo­mise tout le reste.

C’est dire que le pays d’Aase “à trois heures de che­val de Brki­lûk­waya” devient celui où tout est per­mis. S’ échancrent des ventres et le ciel.
Reste à sau­ver de qui peut l’être en espé­rant que seuls des habits ont été tués ou encore que des che­mises sans coeur tiennent lieu de cho­rale ou de choeur pour un “Quo­ti­dien Tem­po­rel” lour­de­ment cen­suré mais pas for­cé­ment eu égard à Supé­rette sorte de Gue­nièvre. La dite urbaine per­met au nar­ra­teur de “retrou­ver sa bite dans son lit” sans la réduire à une chose obs­cène ni en faire un Graal Saint qu’on ne sau­rait voir.

Les mots puce­rons rendent le lec­teur copro­phage tant un tel cor­pus trans­forme la langue offi­cielle en fille de mau­vaise vie. Tout y est agencé pour fouiller de l’intérieur les êtres et le monde et tes­ter leur dis­pa­ri­tion.
Les têtes ne sont par­fois qu’une énorme goutte d’eau et tout semble sur le point de crier famine au moment où la langue devient poing. En consé­quence, celle qu’on nomme mater­nelle se trans­forme en fils “fucking” par deux écri­vains pro­digues et pas seule­ment d’émotions romantiques.

Durant ce périple pra­ti­cien et lourd en pré­ju­dices, la jument suit les héros au milieu d’un lacis de ter­mi­nai­sons ner­veuses là où un mar­cel à quatre ais­selles laisse loin der­rière les 4 ailes d’une Renault que rien n’arrête — même pas ses freins. Si bien que la fic­tion devient une aire de sto­ckage de plu­sieurs pentes.
C’est for­mi­dable : la lit­té­ra­ture under­ground prend à la gorge. Elle est plus pro­fonde que jamais.

L’excen­tri­cité reste de toutes les com­bi­nai­sons. Elles révèlent, révisent et révulsent un monde pour le moins animé et laminé. La langue devient jar­din sau­vage, glos­so­la­lie d’où jaillissent des bribes de sens.
Ses règles ne sont pas dans la tra­di­tion — même la plus avan­cée. Tout fonc­tionne exac­te­ment mais de manière à peu près impos­sible à décrire.

Toute­fois, la lec­trice ou le lec­teur s’habitue très vite à une telle sau­va­ge­rie, abîme de per­plexité même pour les plus exci­tés. Et ce, parce qu’avant d’être étrange, la fic­tion est joyeuse, joueuse, jaillis­sante, auda­cieuse, inven­tive, libre, giboyeuse, et défi­ni­ti­ve­ment plus lumi­neuse qu’absconse.

C’est comme un cri lâché là où la forme expulse la folie et ses miasmes. Ils n’ont rien de délé­tères : ils res­tent avant tout sar­do­niques là où le che­min de l’enfer est semé de mau­vaises inten­tions et de bonnes inven­tions en rai­son de débor­de­ments de par­ti­cules par­ti­cu­lières — et ce n’est là qu’oeu­fé­misme.
Ils mettent de l’agilité dans les sta­tuaires les plus aus­tères et du leurre dans le leurre en un tel Aus­ter­litz littéraire.

jean-paul gavard-perret

Jean-Daniel Botta &Phi­lippe Crab, En pays d’Aase, Edi­tions Louise Bottu, Paris, 2022, 150 p. — 14,00 €.

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