La recherche de la trace dans la matérialité de l’écriture
53 jours est une oeuvre particulière dans le corpus de Georges Perec.
Il l’écrivit au moment de sa mort : l’auteur a pu rédiger 11 chapitres des 28 prévus mais il existait aussi une abondante documentation préparatoire qui a permis à l’époque à Harry Matthews et Jacques Roubaud de proposer un filage du roman dans son ensemble.
Partisan de l’Oulipo, Perec faisait une nouvelle fois de son roman une énigme là où Stendhal devint le spectre du livre qui peut se lire comme une réécriture de La Chartreuse de Parme puisque — comme Henri Beyle — l’auteur voulait écrire sa fiction en 140 jours.
Toutefois, les allusions à Stendhal et à La Chartreuse ne doivent pas occulter, dans 53 jours, l’existence d’un autre intertexte.
II ne s’agissait pas de tramer un romanesque à la manière du XIXème siècle. Perec, avec un tel faux thriller, emboîte des intrigues parallèles voire des sornettes dûment agencées dans le crépuscule de diverses époques sur lesquelles se raccroche la trame de fond.
L’objectif comme toujours chez Perec et de questionner autant la fiction que ses lectrices et lecteurs là où, pour les embarquer, il emprunte des éléments autobiographiques qui rattachent 53 jours au “biotexte pérecquien où se trouvent réunis isotopies sémantiques, formes géométriques et biographèmes” (Bernard Magné).
Se retrouve le point clé de toute l’oeuvre de Perec : la recherche de la trace dans la matérialité de l’écriture.
Elle rend autant transparente qu’opaque l’attention à la lettre, aux lettres en une sorte de revanche sur la mort de la mère, la mort sans lieu (Auschwitz ou ailleurs?), sans date (seulement une date officielle : celle de l’arrestation en France), sans traces matérielles.
Au début du livre et d’un fragment dactylographié évoquant l’incipit du roman, peut se lire cette remarque : “Dès les premières lignes, tout est dit”.
L’auteur à la fin de sa vie revient noir sur blanc, sur la trace des parents disparus. Non toutefois dans le biographique mais dans la fiction qui devient la charmeuse de Parme et de bien autres lieux qui ne cessent de se superposer et de nous perdre.
Le seul regret : la fiction n’a pu être menée à son terme. Mais Matthews et Roubaud ont su transformer cet inachèvement en supplément de mystère.
Et ce, là où les relations à quelques grandes structures récurrentes sont associées à la cassure et au manque — entre autres par homophonies et palindromes là où, d’entrée de jeu, Perec a soigneusement disposé quelques-uns de ses repères et quadrillé son espace.
jean-paul gavard-perret
Georges Perec, 53 jours, Gallimard, coll. L’imaginaire, Paris, 2021, 324 p. — 11,50 €.