Par ces temps sinistres, il est bienfaisant de (re)lire l’un des plus beaux livres inspirés de Venise, celui de Marc Alyn. Son édition de poche, légère et maniable, vous permettra de visiter la Sérénissime même dans le métro.
L’auteur nous offre ici l’essence de ses nombreux séjours sur place, sans oublier de nous donner des impressions (parfois des conseils) de lectures associables aux lieux : Byron, Brodsky, Ezra Pound, mais aussi Corto Maltese — le chapitre consacré à Hugo Pratt est particulièrement surprenant, romanesque et goûteux.
Il va de soi que Casanova n’est pas absent du livre ; vous y trouverez une révélation biographique qui pourrait changer votre vision du personnage.
Marc Alyn, poète avant tout, sait s’y prendre pour trouver des formules frappantes où le jeu de mots s’invite au bon moment : “La seule matière qu’il m’eût été agréable d’enseigner, c’est la vertu de la nostalgie. On la croise un peu partout à Venise, dans les arrière-cours des quartiers reculés où, souvent, une tête gothique à la bouche ouverte, émergeant d’un mur ou de la margelle d’un puits, s’efforce en vain d’appeler au secours, étouffée par les ombres, la mousse, la poigne glacée du temps. […] Comment un lieu où tant de générations se succédèrent ne fourmillerait-il pas de fantômes ? Les vivants comptent pour du leurre : ils se savent passants de peu de poids à côté de tant de personnages habitant les tableaux et de toutes ces ombres qui se faufilent incessamment entre les mailles du soleil“ (p. 23).
Mais Marc Alyn est aussi très sensible à l’érotisme qui émane de Venise, ville de Giorgio Baffo et des courtisanes dont certaines écrivirent aussi de la poésie (p. 52). Et ce n’est pas lui qui mépriserait les plaisirs de la table, auxquels il consacre un chapitre entier, “Manger Venise“, où il est question notamment du marché : “Si l’on peut observer ailleurs dans le monde des amoncellements de légumes et de fruits plus spectaculaires, c’est à Venise uniquement que les étalages d’oranges à ce point saignent et rutilent, braises d’un feu de joie, tandis que les choux-fleurs ou les artichauts des îles de la lagune, empilés sur les tréteaux en pyramides vertes et blanches, paraissent ronronner sous le toucher des ménagères“ (p. 111).
La description de la Cantina do Mori, “fondée en 1462“ et “fréquentée presque exclusivement par une clientèle locale, ce qui garantit une qualité incontournable, maintenue grâce à l’exigence pointilleuse des habitués“ (p. 115), ainsi que les plats évoqués vous donneront envie de prendre tout de suite l’avion (ou le train) pour vous y régaler.
Une fois qu’on a fini de lire ce livre, on a déjà envie de le relire.
agathe de lastyns
Marc Alyn, Le Piéton de Venise, Bartillat, coll. Omnia poche, janvier 2017, 296 p. – 12, 00 €.