Le bruit du monde est une toute récente maison d’édition, installée à Marseille en 2021, tournée largement vers les littératures étrangères mais aussi « les voix francophones d’importance internationale », selon ses propres dires.
La publication du roman de Christian Astolfi, De notre monde emporté, en 2022, laisse le lecteur, la lectrice bien perplexes quant à la puissance de son propos et la qualité de son écriture interroge. Il y a d’abord comme une logique régionale dans l’édition d’un tel livre ; en effet l’action se déroule à La Seyne-sur-Mer. Il s’agit de décrire la fin des Chantiers-Navals qui ont marqué l’histoire industrielle de ce port méditerranéen, proche de Toulon.
On pourrait espérer découvrir un imaginaire incandescent autour de ce monde de la construction navale ; un lien poétique aussi avec la mer et les gestes des hommes à l’oeuvre. Leur lutte face à l’adversité aurait pu donné lieu à une écriture pleine d’un souffle épique et contemporain.
Astolfi n’est sûrement ni le Zola de Germinal, ni le Chaplin des Temps Modernes... Pourtant, Astolfi a déjà écrit, et c’était son premier roman en 2007, sur l’univers d’un port du sud et ses chantiers et du danger de l’amiante déjà : Les tambours de pierre.
Mais son texte est élaboré à partir d’une très rapide analepse qui va de 2015 à 1972 et qui se développe, en remontant la chronologie, selon les années qui jalonnent le destin des hommes des Chantiers telles les années 80 marquées à la fois par l’arrivée au pouvoir de la gauche et le déclin inéluctable des Chantiers devenus la NORMED. Epoque de toutes les désillusions sociales et politiques.
Les personnages fictifs donnent corps à ce récit : un narrateur, Narval, et ses compagnons de travail, tous portant un surnom (Mangefer, Filoche, Cochise, Barbe…) et donnant lieu de manière répétitive à un court portait se croisent. Une amoureuse infirmière aussi, Louise, des parents pour la dimension intime.
L’auteur fait se succéder de courts chapitres aux phrases pour la plupart fondées sur des indépendantes très scolaires : Un soleil levé tôt barre l’horizon. Nous sommes plusieurs milliers rassemblés devant la porte des Chantiers.(p. 74). Le texte rédigé majoritairement au présent de l’indicatif perd en force : les lecteurs éprouvent comme une indifférence vis-à vis de ces ouvriers dont l’univers s’écroule et c’est tout de même un comble !
D’ailleurs, vers la fin du roman, Narval dira à un jeune photographe, Saviani, qu’il lui « relate le vécu » tandis que ce dernier prend des clichés de lui sur l’ancien site des Chantiers. Narval ajoute encore : j’étais le scénariste, le metteur en scène, le monteur projectionniste. J’étais le narrateur, le témoin, le personnage principal. J’étais la voix off.” (p 163). Curieuse confusion entre le langage cinématographique et l’entreprise littéraire.
La deuxième partie du roman marque cependant un tournant : le temps du départ de Louise, le temps de la mort du père, le temps de l’Amiante maléfique qui tue les hommes, plus ou moins vite et celui du passage à l’écriture pour Narval comme si l’Age d’or des Chantiers n’avait pas pu faire surgir littérairement une veine éclatante.
Carnet noirci tel un double fictif du roman lui-même mais presque silencieux dans l’absence ou presque de citations. On n’en entend rapidement plus parler dans le texte.
Une citation du début de L’éloge de la paresse de Paul Lafargue met en lumière le quasi suicide du monde ouvrier qui court à sa perte à force d’aimer son dur labeur, de lui sacrifier sa vie. Comme il serait magnifique d’écrire un roman digne de cela par la puissance, la violence des mots.
Mais Christian Astolfi écrit bien sagement à la manière d’un gentil réalisateur de téléfilm.
Dommage. Le bruit du monde est une fureur, une colère et pas une vaine nostalgie.
marie du crest
Christian Astolfi, De notre monde emporté, Le bruit du monde, 2022, 187 p. - 19,00 €.