Non l’absence mais son contraire
Par sa peinture, Eugène Leroy resta sur les traces de l’être. Plus loin même. A savoir en son mystère, par la matière sensation, la matière émotion.
“J’emploie le mot toucher par rapport aux notions de dedans et de dehors. (…) Je voudrais toucher la peinture comme la peinture vous touche. La toucher, je le dis comme on aime une femme.” écrit-il.
Faut-il alors parler encore d’abstraction ? Sans doute pas car les étiquettes ne conviennent plus. Evoquer plus simplement, comme Leroy le fit, matière, couleur, vibration. Et revenir au chef-d’oeuvre de 1981 “La rouge”. Contre la nuit de l’être. Là où l’étendue progresse. Une intimité naît à la faveur des recoupements.
Restent des” intimités” que matière ne recouvre plus mais découvre en rappelant le “Grand paysage de feu” de 1974. Entrouvertes les lèvres. Sur le rouge. Contre le noir. Comme si on pouvait voir dedans. Et trouver le passage.
Quand de telles traces s’impriment n’existe plus d’abîme. Il y a, là, et tractions, et poussées. En avant, toute ! Vers l’autre nudité. De l’être. La seule. Un centre se creuse et appelle les spasmes.
Voici la fissure, l’infigurable de. A la fois source et sablier. Juste ces traces. Plus loin que la peinture dans sa poussée et aussi le retranchement. .
Existent la matière de jouissance, l’ émotion intense. Emmêlement de convergences. Le partage ne se fait plus entre l’ombre et la lumière. Ainsi, chaque mouvement est un piège. Au-delà de l’image, le mouvement. Le mouvement qui sait tout, assurant son dévers. Il ne s’agit plus de se souvenir mais d’autre chose encore. Dans l’ombre.
A proximité du liant et du lien. Dans le creux de la ligne. Ou sur sa pointe. L’être en lui-même, se serrant, s’éloignant dans le pendant de la matière.
Et tout ce frottement de pigmentations. Cette accommodation à la couleur. Du fond. Au fond. Le piège tendu ? Mais non. L’appel, rien que l’appel. Une nouvelle fois tenter de prendre corps. Le tableau comme “réalité intérieure” écrit Leroy.
D’abord ‘la petite note jaune” (ajoute-t-il ) comme un prélude. Puis arriver à cela. Non l’absence mais son contraire. Un appel. Dans le ventre, dans la tête — et l’émotion à l’«intersection» des deux.
Eugène Leroy ne croit pas à la spontanéité du geste. Il travaille beaucoup. Il détruit sa facilité. Cela son filtre. D’exigence. D’amour. Et un côté Matisse dans son émerveillement. Un côté Gauguin dans sa brutalité et le soleil. Le peintre ne pose pas et réduit d’elle-même cette fameuse “clôture” de la peinture, sa “choseité” (Beckett). Sans souci de faire une oeuvre ni de sa valeur. Eugène Leroy ne marchande pas. Ainsi l’oeuvre des profondeurs.
Mais le rouge dedans. Il est intense, encens, sang, présence et musique. Du silence. L’imagination élude l’image, du moins l’idée qu’on en a, qu’on s’en fait. Ici une origine mais pas de l’origine.
La trace non retournée sur mais tendue vers dans une sorte de mise à nue loin de la muse. La peinture est ailleurs, avant, pariétale en quelque sorte.
jean-paul gavard-perret
Eugène Leroy, Toucher la peinture comme la peinture vous touche. Écrits et entretiens 1970–1998, Préface d’Éric Darragon, Photographies de Benjamin Katz, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2022, 208 p. — 20,00 €.
Bonjour Jean-Paul,
Et merci, pour ce beau texte qui représente bien l’acte de peindre et ce qui sous-tend le déroulé de la “création”, les idées, le jeu de l’esprit à l’oeuvre, la maîtrise du trait et de la couleur, le suggéré, le non-dit, la profondeur de l’être-sujet et de l’univers propre du peintre. Son mystère et tout l’amour qu’il porte en lui;
Avec mes mots . Pierre V.