« Le 31 du mois d’août
On vit venir sous l’vent à nous
Une frégate d’Angleterre
Qui fendait la mer et les flots
C’était pour aller à Bordeaux… »
La plus fameuse des chansons de marins souligne le grand exploit de Surcouf : l’arraisonnement par le corsaire français avec ses seize canons de la frégate anglaise Kent, bien plus lourdement armée, un 31 août, au large de Bordeaux ; comme toujours, la fiction est plus belle que la réalité : l’abordage eut lieu en fait le 6 octobre 1800, près de l’embouchure du Gange…
Ce décalage témoigne bien de la distance entre la réalité de qui fut Surcouf et la légende qui l’entoure. Écrivain de Marine, Dominique Le Brun est un spécialiste du monde maritime auquel il a consacré de nombreux albums, essais, biographies et anthologies, dont Bougainville (2019) et Les Pôles, une aventure française (2020) ; c’est au célèbre corsaire malouin qu’il consacre une biographie, composée de dix sections et quelques annexes.
Le chapitre 1 s’intéresse aux quatre générations de marins malouins (1645–1773) de la famille avant Robert Surcouf : où l’on voit qu’il avait déjà de qui tenir ! Le deuxième chapitre raconte le gamin turbulent, avide de prendre la mer, qu’il prend effectivement au chapitre 3, centré sur son apprentissage à bord de quatre bâtiments, de 1789 à 1791, en Afrique, à Pondichéry, au Mozambique.
Robert Surcouf reçoit le baptême du feu dans la quatrième partie, et la gloire intervient à la cinquième, à bord de L’Émilie (1795–1797), notamment grâce à l’action de l’avocat Pérignon, qui assurera sa célébrité malgré quelques vérités controuvées… Ah, le pouvoir de la parole !
Le chapitre six le présente en pleine gloire, dans les années 1798–1800, avant d’en venir à l’apothéose dans le suivant : la capture du Kent par La Confiance, en 1800–1801, et qui sera chantée si haut, faisant de lui une légende vivante. Retour à Saint-Malo, 1800–1807 : il fonde une famille. Reprendra la mer ou reprendra pas ? Oui, forcément – quand on s’appelle Surcouf…
Le chapitre neuf analyse le retour à L’Isle-de-France (1807–1809). Il revient à Saint-Malo, comme armateur, affichant le même panache. L’épilogue se termine sur la plus célèbre chanson de marin, pour en analyser les variations.
Suit la section « Ils ont raconté Surcouf », qui fait le tour des plus célèbres biographes du corsaire : Ambroise Louis Garneray, Charles Cunat, Robert Surcouf (petit-neveu du corsaire), Auguste Toussaint, Alain Roman, en précisant leur apport, et les limites de la vérité dans leurs études.
Puis l’auteur donne un « Glossaire de la guerre de course » (de « à-pic » à « yole »), qui aidera les lecteurs non familiers des termes de marine, et qui se lit aussi par plus plaisir de ce si beau langage. L’ouvrage se complète d’une chronologie, d’une bibliographie classée par thèmes principaux, et d’une table.
Paradoxal Surcouf : il ne fut jamais officier de la Royale, et pourtant quatre bâtiments militaires ont porté haut son nom, dont un submersible, et une des frégates légères furtives (FLF « Surcouf », 1993) actuellement en service. Paradoxal parcours : il fut glorieux sous l’Empire, se trouva désespéré de voir son pays envahi, puis soumis par l’histoire à la folle succession des régimes du XIXe siècle ; « Tigre des mers » qui témoigne de la fidélité de son engagement à son pays, de son patriotisme et de son goût inépuisable pour le panache.
yann-loic andré
Dominique Le Brun, Surcouf, Le Tigre des mers, Paris, Tallandier, 2022, 336 p — 20,90 €.