Pour Maryam Ashrafi, le tout est de savoir où la bêtise et l’ignorance des hommes mènent. D’autant que, si nous traînons dans une telle ornière, ce n’est parce que l’inconscient sans qu’on le sache se charge totalement de la fonction du sujet existant.
Tout dépend de structures que l’Histoire a forgées et que la photographe dessoude à travers ses images. L’esthétique pour elle devient une éthique et une arme de combat. Ce n’est sans doute pas la seule piste. Mais elle reste nécessaire.
Les images ici disent ce que certains mots cachent. Avec sa série sur les Femmes Kurdes, Maryam Ashrafi offre un témoignage sur la façon dont un peuple tente de bâtir un futur en soulignant le rôle des femmes dans l’équilibre social d’aujourd’hui et dans l’espoir de lendemains plus probants.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je ne suis pas du matin, et je me couche le soir avec tant de questions, de stress et de soucis pour mes travaux en cours que ce sont eux aussi qui me réveillent le matin – mais souvent aussi c’est une belle motivation qui me fait me lever.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’espère qu’ils vont se réaliser et non pas se perdre en cours de route dans ce que l’on appelle le monde des adultes.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à mon droit de retourner dans mon pays, l’Iran, pour poursuivre le chemin auquel je crois. J’ai aussi renoncé à la maternité. À voir l’injustice dans le monde, la cruauté et les enfants qui vivent dans les zones de conflit, je ne souhaite pas porter et mettre au monde quelqu’un d’autre et je préfère faire ce en quoi je crois et préparer et contribuer à ce qui j’espère sera un monde meilleur.
D’où venez-vous ?
Je viens d’Iran, d’une famille et d’une société qui m’a aidée à questionner l’injustice et à refuser les normes.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Mon caractère, la capacité, dans une certaine mesure, de comprendre la société, et surtout, de (me) poser des questions.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Je cherche à y penser chaque jour, à ne jamais oublier ces petits plaisirs – découvrir, apprendre, me réjouir de ce que j’ai.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres photographes ?
Je préférerais que ce soient les autres qui répondent à cette question.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le travail du photographe iranien Kaveh Golestan, sur l’injustice in Iran, et le travail remarquable de Don McCullin sur la guerre et ses conséquences. J’ai leurs images sur mon mur depuis aussi longtemps que je puis me souvenir… ces images représentent la mission que je me suis donnée : donner des visages humains à la cruauté de la guerre.
Et votre première lecture ?
Un livre iranien, “The Little Black Fish” de Samad Behrangi.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Cela dépend de mon humeur — mais surtout des musiques iraniennes et kurdes, de la musique traditionnelle et folk.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Cela dépend de où j’en suis dans ma vie… mais en ce moment je relis Automne allemand de Stig Dagerman.
Quel film vous fait pleurer ?
“Le pas suspendu de la cigogne” de Theo Angelopoulos, “Le cercle des poètes disparus” de Peter Weir, “La vie est belle de Roberto Begnini”… la liste est longue !
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une personne curieuse de comprendre pourquoi je la regarde avec tant de questions
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Au photographe Don McCullin. J’ai souvent cette conversation avec lui dans ma tête, une conversation qui pourrait devenir une lettre, une correspondance : mais je n’ai jamais osé lui écrire. À un certain point de sa carrière, il a parlé de son échec, comme photographe, au vu des buts qu’il s’était donnés : il avait fait tant d’images de la guerre et de ses conséquences, et pourtant, toujours la guerre reprend. Je ressens le même type d’échec, constamment. Mais nous devons continuer, n’est-ce pas ?
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les lieux, les villes, que je n’ai pas encore visités.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Ceux qui touchent mon âme, m’émeuvent et me meuvent. Kaveh Golestan, Don McCullin, Susan Meiselas, Dorothea Lange, James Nachtwey.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un visa universel et intemporel pour voyager où je veux quand je veux, à commencer par le Yémen.
Que défendez-vous ?
Je cherche à défendre ceux qui n’ont pas de voix, les impuissants qui ont beaucoup à donner à notre monde, beaucoup à partager. J’essaie de leur donner une voix, une image, une existence.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela m’inspire des questions : qu’entend-il par « amour » ? et cela me donne envie de chercher à définir ce que moi, j’entends par « amour » !
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’aimerais savoir de quelle question il s’agissait et à quoi il pensait en répondant « oui ».
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
J’ajouterais cette question : de quoi avez vous le plus peur ? Et je répondrais que c’est de devenir aveugle, physiquement et psychologiquement.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 23 février 2022. Traduction de l’entretien par Babara Polla.
Respect et admiration pour cette dame qui se bat pour la paix du monde !
“Je cherche à défendre ceux qui n’ont pas de voix, les impuissants qui ont beaucoup à donner à notre monde, beaucoup à partager. J’essaie de leur donner une voix, une image, une existence.“
Merci d’être +