Singulier, La gorge s’inscrit d’une part dans les écrits d’inspiration autobiographique de Pierre Bergounioux. Mais pas seulement.
L’auteur donne le point de départ de ce récit dans le passage suivant : “De tout ce temps, les jambes avaient poursuivi leur basse besogne, repoussé alternativement le capiton, la douceur de l’abandon, la tentation de devenir un autre, quel qu’il fût, un peu avant l’heure fixée. J’ai laissé en plan mon bas de casse, mes petits travaux de prote”.
Il arrive en effet que l’auteur — soumis à la pression du temps — embarque à bord d’un train pour mener, au long des rails, une ultime bataille contre l’avenir et le passé. Existe là une belle trouée de la vue par le déplacement.
Et non seulement par la force des choses mais celle de la langue. Par elle, une simplicité du regard trouve la charge poétique qui fait renouer avec l’existence.
Celui qui sait que viendra la fin recoupe le temps à sa manière. La vie ordinaire dans l’épreuve des ans revient par bouffées.
Elle est simplement extraordinaire dans son quotidien communs et ses déphasages.
Le bric-à-brac du passé que nous transportons sur le dos, et qui pèse lourd, et de plus en plus chaque jour, Bergounioux le retourne. Des inquiétudes naissent et disparaissent.
Quelque chose persiste dans la nuit des visages et des paysages. Avec la peur que cela s’engloutisse, rende “gorge”.
Existe là toute une vie, ses moments au milieu des pensées dures qui dévorent mais aussi construisent. Pas de plainte, ici, de pathos. Pas de longue traîne larmoyante, ni d’étalement narcissique, de tire-larmes.
S’il évoque, souvent, le passé, l’auteur ne le fait pas pour le regretter, ou en déplorer l’effacement, mais parce que c’est là que tout se passe.
Nous sommes alors assurés de vivre non sans ambiguïté, avec ou sans douleur et par surprise.
jean-paul gavard-perret
Pierre Bergounioux, La gorge, Illustrations de Vincent Bioulès, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2022, 48 p. — 12,00 €.
M. Barraband affirme « la vertu profondément réaliste des récits de P.Bergounioux réside moins dans leur tentative pour imiter le réel, que dans leur effort pour le rendre connaissable . Il ne s’agit jamais simplement de se comprendre soi, pour son bénéfice personnel, mais de saisir à travers soi une vérité générale » . Cette dernière porte un zoom sur l’obsolescence de la vie . JPGP le transcrit dans l’exact esprit positif d’un romancier plutôt philosophe qui écrit les travaux et les jours .