Michel Vinaver, Dissident, Il va sans dire / Nina, c’est autre chose.

Deux pièces en douze mor­ceaux, ou la force entropique/ force explo­sive du désir juvé­nile. Jacques Krae­mer monte deux pièces de Vina­ver, une noire et une lumi­neuse, évo­quant la puis­sance déli­rante de la jeu­nesse

“Dis­si­dent, il va sans dire”
, ou récit noir d’une rela­tion oedi­pienne, évo­quant les amours / haines d’un fils pour sa mère, un fils qui sombre inexo­ra­ble­ment dans la drogue et la délin­quance. Le père est parti, qui les aban­donne à la misère, pour se consa­crer à son monde réglé d’entrepreneur, que son fils, assidu de drogues musi­cales et tra­fi­quées, méprise.

Si les pro­blèmes de société évo­qués sont tou­jours d’actualité –drogue, délin­quance, familles décom­po­sées -, l’essentiel tourne autour de cette rela­tion mère/fils, amour et vio­lence dif­fi­ciles et fascinants.

“Nina, c’est autre chose”, ou com­ment l’irruption explo­sive d’une jeune femme libé­rée dérègle l’économie pous­sié­reuse d’un ménage de deux vieux gar­çons, l’un –l’ainé, Sébas­tien– ouvrier syn­di­ca­liste engagé, l’autre –le cadet, Charles –gar­çon coif­feur dans un salon parisien.

Leur mère est morte récem­ment, ils ont une vie rou­ti­nière et propre, et le chaos qu’introduit Nina, coif­feuse ame­née par Charles chez les deux frères, qui par­ta­gera et réunira, de manière dif­fi­cile, mais sûre, leur vie autre­ment que leur mère ne l’avait fait : plus fraîche, éro­tique et libre. Une belle pièce optimiste.

Deux pièces oppo­sées par leur conclu­sion et teinte, par leur his­toire, si on les juge selon un prin­cipe qu’elles ren­versent, le prin­cipe de l’échec et de la réus­site, qui manque la force ris­quée et impré­vi­sible au vrai désir juvé­nil, dont la puis­sance est d’être force, force qui fait déli­rer et fuir les sys­tèmes (famille, tra­vail, ins­ti­tu­tion…) et notam­ment celui du prag­ma­tisme social. Il ne s’agit pas de réus­site ou d’échec, mais de force de vie.

Pièces en douze mor­ceaux : ni tableaux, ni scènes, mais des frag­ments de puis­sance, où une évo­lu­tion se joue de la vie quo­ti­dienne et de ses règles pour faire réveiller la vie, inso­lite dans “l’ordinaire” même, notion si chère à Vinaver.

Le pro­jet réussi repose sur un tra­vail soi­gné de mise en scène : dans “Dis­si­dent”, c’est l’épure de mor­ceaux nés dans les ténèbres et la dis­tance d’un jeu qui sub­jugue le spec­ta­teur, lui fait res­sen­tir la dif­fi­culté d’être au quo­ti­dien, pour ces jeunes pau­més, aban­don­nés par leurs parents et que la société brise sur les chaînes de mon­tage, et donc beau­coup de poé­sie grâce à des pro­cé­cé­dés visuels et sonores détour­nés de l’univers ciné­ma­to­gra­phique (films de routes noc­turnes, images et musique psy­ché­dé­liques…) ; dans “Nina”, une liberté joyeuse et expan­sive d’acteurs plon­gés dans la cou­leur et le désordre de la vie, misant sur l’équivoque libé­ra­tion opé­rée par Nina, de cette mai­son noire se colo­rant peu à peu.

Un ensemble épous­tou­flant et ravis­sant, qui rap­proche avec force deux dimen­sions toniques du désir et de la vie. Bravo !

samuel vigier

   
 

Michel Vina­ver, Dis­si­dent, Il va sans dire / Nina, c’est autre chose.
Mise en scène de Jacques Kraemer,

A Avi­gnon, jusqu’au 30 juillet, à 20h00, Théâtre des Halles.

La Com­pa­gnie Jacques Krae­mer pré­sen­tera Aga­tha, de Mar­gue­rite Duras, au théâtre du Lucer­naire à Paris, à par­tir du 7 sep­tembre, à 20h.

 
   

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