Deux pièces en douze morceaux, ou la force entropique/ force explosive du désir juvénile. Jacques Kraemer monte deux pièces de Vinaver, une noire et une lumineuse, évoquant la puissance délirante de la jeunesse
“Dissident, il va sans dire”, ou récit noir d’une relation oedipienne, évoquant les amours / haines d’un fils pour sa mère, un fils qui sombre inexorablement dans la drogue et la délinquance. Le père est parti, qui les abandonne à la misère, pour se consacrer à son monde réglé d’entrepreneur, que son fils, assidu de drogues musicales et trafiquées, méprise.
Si les problèmes de société évoqués sont toujours d’actualité –drogue, délinquance, familles décomposées -, l’essentiel tourne autour de cette relation mère/fils, amour et violence difficiles et fascinants.
“Nina, c’est autre chose”, ou comment l’irruption explosive d’une jeune femme libérée dérègle l’économie poussiéreuse d’un ménage de deux vieux garçons, l’un –l’ainé, Sébastien– ouvrier syndicaliste engagé, l’autre –le cadet, Charles –garçon coiffeur dans un salon parisien.
Leur mère est morte récemment, ils ont une vie routinière et propre, et le chaos qu’introduit Nina, coiffeuse amenée par Charles chez les deux frères, qui partagera et réunira, de manière difficile, mais sûre, leur vie autrement que leur mère ne l’avait fait : plus fraîche, érotique et libre. Une belle pièce optimiste.
Deux pièces opposées par leur conclusion et teinte, par leur histoire, si on les juge selon un principe qu’elles renversent, le principe de l’échec et de la réussite, qui manque la force risquée et imprévisible au vrai désir juvénil, dont la puissance est d’être force, force qui fait délirer et fuir les systèmes (famille, travail, institution…) et notamment celui du pragmatisme social. Il ne s’agit pas de réussite ou d’échec, mais de force de vie.
Pièces en douze morceaux : ni tableaux, ni scènes, mais des fragments de puissance, où une évolution se joue de la vie quotidienne et de ses règles pour faire réveiller la vie, insolite dans “l’ordinaire” même, notion si chère à Vinaver.
Le projet réussi repose sur un travail soigné de mise en scène : dans “Dissident”, c’est l’épure de morceaux nés dans les ténèbres et la distance d’un jeu qui subjugue le spectateur, lui fait ressentir la difficulté d’être au quotidien, pour ces jeunes paumés, abandonnés par leurs parents et que la société brise sur les chaînes de montage, et donc beaucoup de poésie grâce à des procécédés visuels et sonores détournés de l’univers cinématographique (films de routes nocturnes, images et musique psychédéliques…) ; dans “Nina”, une liberté joyeuse et expansive d’acteurs plongés dans la couleur et le désordre de la vie, misant sur l’équivoque libération opérée par Nina, de cette maison noire se colorant peu à peu.
Un ensemble époustouflant et ravissant, qui rapproche avec force deux dimensions toniques du désir et de la vie. Bravo !
samuel vigier
Michel Vinaver, Dissident, Il va sans dire / Nina, c’est autre chose. A Avignon, jusqu’au 30 juillet, à 20h00, Théâtre des Halles. La Compagnie Jacques Kraemer présentera Agatha, de Marguerite Duras, au théâtre du Lucernaire à Paris, à partir du 7 septembre, à 20h. |
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