Du XIVe siècle au XVIIe siècle surtout, dans toute l’Europe, des femmes et des hommes ont été accusés de sorcellerie. Sous la torture, les inquisiteurs leur ont fait dire qu’ils fréquentaient le sabbat, de nuit de préférence.
En présence du diable, sous une forme presque humaine ou animale, les participants se livraient à des orgies, devaient profaner les rites chrétiens.
Les réponses aux questions ont été en général assez voisines, donnant une description de ces cérémonies impies relativement proches de ce que voulaient entendre les juges. Dans certains cas, des anomalies ont pu être relevées. Carlo Ginzburg a voulu en comprendre les raisons, pensant que ces éléments distincts pouvaient être liés à un fond plus ancien.
Partant de ces anomalies, appuyé par un immense matériel documentaire (les notes occupent les pages 423 à 626 du présent ouvrage), il a entrepris de recomposer les pièces dispersées relatives à ces pratiques nocturnes.
Son enquête conjugue plusieurs approches auxquelles correspondent autant d’hypothèses. L’approche historique qui, des lépreux aux Juifs, des hérétiques aux sorciers, dessine à la fin du bas Moyen Âge, la place d’un complot ourdi par les ennemis de la chrétienté.
Il suit également une approche morphologique qui rassemble les éléments d’une très ancienne culture à fond chamanique, culture largement ancrée dans le monde eurasiatique.
La diabolisation des vieilles croyances amène à créer de toutes pièces, par des responsables religieux, la sorcellerie diabolique. C’est un événement historique dont la naissance est circonscrite dans le temps et dans l’espace. Elle s’organise autour de la conviction qu’une secte de sorciers conspire à la destruction de la religion chrétienne.
L’idée du complot apparaît en 1321 alors que les royaumes traversent nombre de difficultés. Ce sont d’abord les lépreux qui sont accusés d’être à l’origine de toutes les disettes, les épidémies en empoisonnant les puits, gâtant les récoltes, voulant prendre le pouvoir. Les lépreux sont brûlés. Cette même accusation est portée sur les Juifs qui s’associeraient aux musulmans.
Mais, c’est plutôt une persistance de cultes et de croyances chamaniques qui va donner source à ce schéma réducteur appelé le sabbat. C’est un apport important que l’auteur pousse et affine. Ainsi, les inquisiteurs chargés de réprimer l’hérésie en Frioul (une partie de l’Italie), découvrent d’étranges rumeurs relatives aux Benandanti.
N’y comprenant rien, ils les assimilent à des sorciers et une de leur “pratique” qui consiste à voler la nuit est transformée en sabbat avec tout ce qui en découle comme absurdités.
Ce volume est enrichi par un encart d’illustrations en couleurs et de quelques cartes qui permettent de visualiser l’ampleur du phénomène.
Une postface inédite de l’auteur rédigée en 2017 apporte des éléments fort intéressants.
Pour son approche, Carlo Ginzburg use de méthodes d’investigation innovantes et donne une remarquable étude appuyée sur une documentation pléthorique et quelques hypothèses qui, si elles paraissent audacieuses, ont le mérite d’explorer un champ historique de belle manière.
serge perraud
Carlo Ginzburg, Le sabbat des sorcières, traduit de l’italien par Monique Aymard, postface inédite traduite par Martin Rueff, Folio, coll. “Histoire n° 318″, février 2022, 704 p. – 13,00 €.