Javi Rey, Un ennemi du peuple — d’après la pièce d’Henrik Ibsen

De la fra­gi­lité de la démocratie

Henrik Ibsen est un dra­ma­turge nor­vé­gien qui n’hésite pas à dénon­cer, dans des pièces à scan­dales, les dérives de son époque. Avec Un Ennemi du Peuple, la pièce la plus poli­tique de son réper­toire, il lance une véri­table bombe en 1882, depuis Rome où il s’est ins­tallé. Dans cette pièce théâ­trale qui pré­fi­gure les tota­li­ta­rismes du XXe siècle, il s’attaque à toutes les tares de la démo­cra­tie et invente le lan­ceur d’alerte.
Lorsque Javi Rey découvre cette pièce, il décide de l’adapter en bande des­si­née tant les pro­blé­ma­tiques trai­tées dans cette œuvre res­tent d’une actua­lité brûlante.

Un paque­bot arrive vers une côte ver­doyante. Le maire, à la tête de nom­breux habi­tants, sou­haite la bien­ve­nue à la foule de tou­ristes qui débarquent sur l’île de La Baleine heu­reuse. Cette nou­velle sta­tion ther­male pro­pose d’excellents soins. À l’écart, le doc­teur Tho­mas Sto­ck­mann ne par­ti­cipe pas à la liesse géné­rale. Il est le méde­cin de l’établissement de cure et ce qu’il com­mence à consta­ter l’inquiète. Il a pris contact avec le rédac­teur en chef de La Voix du Peuple, le jour­nal local qui s’oppose au maire. Celui-ci est prêt à publier l’article que Tho­mas a pré­paré. Mais ce der­nier attend un cour­rier de la Capi­tale.
Or, le maire est aussi le frère de Tho­mas, un frère qui l’a fait venir sur l’île alors que celui-ci galé­rait dans les ter­ri­toires du nord. Et le cour­rier qui arrive confirme ce que le méde­cin pres­sen­tait. Mais, peut-il remettre en cause la nou­velle pros­pé­rité de l’île ? Peut-il com­battre les sys­tème mis en place par son frère ? Et le lan­ceur d’alerte devient l’ennemi du peuple alors qu’il veut agir pour le bien commun…

Outre le récit pas­sion­nant sur le par­cours du méde­cin, le texte, fort bien actua­lisé par Javi Rey, décor­tique la démo­cra­tie, ses avan­tages et les défauts que ce sys­tème peut pré­sen­ter sans contre-pouvoir comme la cor­rup­tion, la mani­pu­la­tion de l’opinion publique, les inté­rêts pri­vés, le popu­lisme et la déma­go­gie.
Et ce texte résonne de plus en plus avec le pré­sent : c’est le Brexit en Angle­terre, les injus­tices et les inéga­li­tés du sys­tème capi­ta­liste, la mon­tée des popu­lismes avec les élec­tions de Trump, de Bolsonaro…

Le scé­na­riste restruc­ture les cinq actes de la pièce en trois cha­pitres enca­drés par un pro­logue et un épi­logue. Chaque cha­pitre s’ouvre avec, en exergue, des cita­tions célèbres comme la fameuse due à Wins­ton Chur­chill à pro­pos de la démo­cra­tie : “C’est le pire sys­tème de gou­ver­ne­ment conçu par l’homme. À l’exception de tous les autres.
Sa mise en scène gra­phique est au ser­vice de la nar­ra­tion. Pri­vi­lé­giant la ligne claire, il concoure à don­ner une belle lisi­bi­lité de chaque planche.

Javi Rey se livre à une remar­quable refor­mu­la­tion, empreint d’une belle ana­lyse, adop­tant un récit qui donne à réflé­chir, res­pec­tant en les actua­li­sant les élé­ments dénon­cés par Hen­rik Ibsen, mais ouvert, tou­te­fois, sur l’espoir.

serge per­raud

Javi Rey (scé­na­rio d’après la pièce d’Henrik Ibsen, des­sin et cou­leurs) Un ennemi du peuple, Dupuis, coll. “Aire Libre”, février 2022, 152 p. – 24,00 €.

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