Harlem est le nouvel album de Mikaël. Il a déjà signé, chez Dargaud, deux remarquables diptyques ayant pour sujet le New York de l’Entre-Deux guerres. Giant raconte la vie des ouvriers qui construisent les Buildings et Bootblack, celle de Al, ce gamin de la rue cireur de chaussures qui veut sortir de la misère.
Mikaël retient, cette fois-ci, le cœur de Harlem, le quartier nord de Manhattan au-delà de la 110e rue.
Robert Bishop, un journaliste, est dans un club de jazz quand un mafieux, Dutch Schultz dit Le Hollandais, vient mettre en demeure celle qu’il appelle Queenie de lui abandonner son territoire ou de travailler pour lui. Celle-ci, impériale, refuse. Les voyous prennent la fuite car le police arrive. Or, le groupe de policiers est aussi pourri que la pègre.
Robert est là car il voudrait faire une interview de celle qu’on appelle aussi Madame Queen. Elle l’ignore et décide de dénoncer la situation dans l’Amsterdam News, le premier journal à destination de la population noire dans New York. Le rédacteur en chef refuse car c’est très mal écrit. Elle se précipite chez son amie Tillie, la maîtresse de Robert, et embauche ce dernier comme correcteur, le menaçant des pires avanies s’il écrit la moindre ligne sur elle.
La guerre s’installe. Le Hollandais s’en prend aux rouages de la loterie clandestine que Madame Queen a mise en place et exploite avec profit. Et lorsque l’article paraît, il provoque une belle pagaille ou panique selon les lecteurs. Mais, en récitatif, Robert explique que ce qu’il a fait est impardonnable…
Avec ce diptyque, Mikaël s’intéresse et intéresse ses lecteurs à une héroïne hors-pair, un personnage authentique, une femme du nom de Stéphanie Saint-Clair qui a régné pendant plusieurs années sur la pègre dans ce quartier. Cette Martiniquaise (1897–1969), se disant née en France, avait perfectionné le fonctionnement des loteries clandestines.
Elle est entrée en guerre ouverte avec la pègre qui, avec la fin de la prohibition, voyait ses profits sur l’alcool de contrebande disparaître.
Dans ce premier volet, l’auteur place rapidement le contexte et entre dans le vif du sujet avec cette attaque d’un mafieux qui veut rafler un juteux business. Il montre la position de la police qui entend racketter les habitants du quartier. Il détaille le mécanisme de cette loterie et l’utilisation sociale d’une partie des bénéfices.
Il décrit le Harlem des années 1930, un quartier abandonné par les édiles blanches, mais des édiles qui viennent bien volontiers s’encanailler : “… se vautrer dans la chair nègre qu’ils prétendent, par ailleurs, avoir en horreur.”
Si Mikaël prend quelques libertés avec l’Histoire, il s’inspire de faits réels. Il place son intrigue alors que les mafias tenues par des Blancs s’aperçoivent que leurs activités illicites vont disparaître. Elles veulent se “recycler”. Son dessin réaliste aux traits efficaces donne beaucoup d’élégance à ses planches. Ses mises en pages, comme ses mises en scène sont le résultat d’un travail graphique très élaboré. Avec une palette de couleurs sombres, il renforce le côté rude du récit.
Un cahier graphique complète l’album, en présentant des recherches sur des lieux, des immeubles.
Un premier tome enthousiasmant par la découverte de cet univers, de cette héroïne au parcours époustouflant.
voir la bande-annonce (20 s.)
serge perraud
Mikaël, Harlem – t.1/2, Dargaud, janvier 2022, 64 p. – 14,50 €.