Claude Louis-Combet, L’autre Edwarda

Vestiges de l’amour

Avec L’autre Edwarda Louis-Combet engage le lec­teur dans une situa­tion simi­laire à celui du Madame Edwarda de Bataille. Au moment où le sexe de la pros­ti­tuée s’ouvre sous ses yeux, « la nudité s’oppose à l’état fermé, c’est-à-dire à l’état d’existence dis­con­ti­nue. C’est un état de com­mu­ni­ca­tion qui révèle la quête d’une conti­nuité pos­sible de l’être au-delà du repli sur soi » (Œuvres Com­plètes, tome 3, Gal­li­mard, p. 23). Tout cela ne peut se pas­ser néan­moins que sous le sceau de la nudité du mot « écrire ».
Lire et entendre ce mot en sa nudité invite à un par­tage de ce qui s’ouvre dans la bles­sure du vocable comme dans celle du sexe. Louis-Combet reprend donc ce terme afin que la nudité ne se réduise pas au vête­ment que tout mot implique. « Sinon j’écris en vain » estime l’auteur. Et c’est pour­quoi son texte répond à ce que Blan­chot énonce dans L’espace inté­rieur : « L’œuvre est œuvre seule­ment quand elle devient l’intimité ouverte de quelqu’un qui écrit et de quelqu’un qui la lit, l’espace vio­lem­ment déployé par la contes­ta­tion mutuelle du pou­voir de dire et du pou­voir d’entendre ». (Gal­li­mard, 1967, p. 35). Plus que la nudité de la femme, c’est donc celle — exhi­bée ou exi­gée — de l’écriture.

Ce qui demeure essen­tiel dans le livre de Louis-Combet est donc la capa­cité à créer une ouver­ture qui lève le secret de l’intime. Cette levée fonde une com­mu­nauté inavouable (aux yeux de tous) mais elle va avec Louis-Combet jusqu’au sein de l’origine mater­nelle. C’est là un de ses thèmes clés. Si bien que l’auteur par­fois n’est pas loin de l’Innommable de Beckett et de sa « chienne mère véné­rée ». L’Autre Edwarda devient une invi­ta­tion à par­cou­rir de manière par­ti­cu­lière les secrets de famille, ceux des fan­tasmes de l’enfance en pas­sant aussi par celui de l’identité afin de par­ve­nir enfin au plus sublime d’entre eux : celui de l’art. Louis-Combet “expose” de manière énig­ma­tique la situa­tion de bâtar­dise et d’inceste liée chez lui au sens même de l’écriture.
Néan­moins, avec son nou­vel ava­tar d’Edwarda l’écriture (mi-pute, mi-soumise) est réin­sé­rée dans ce qu’elle pos­sède d’essentiel et d’ambigu : voi­ler et dévoi­ler, mon­trer et cacher. Elle exhibe sur un mode assez ludique l’expérience de la sexua­lité dont le par­fait dévoi­le­ment demeure indé­chif­frable. A ces côtés, les pho­to­gra­phies d’Elisabeth Prou­vost orientent plus vers le mys­tère de l’écriture que celui de la femme. L’énigme y demeure fixée : dif­fi­cile de le décro­cher sinon à trans­for­mer l’accouchement en avor­te­ment. Ou de faire de celui qui en tombe un avor­ton. Louis-Combet se veut tel là où ce que les mots ouvrent est para­doxa­le­ment le cer­cueil ou l’urne plus que le sexe. Pour l’auteur et contrai­re­ment à Bataille, en dépit de la vulve vue, tout texte (et toute femme) reste donc tom­beau ou reli­quaire. Mais ils demeurent aussi le moyen de lut­ter contre l’anéantissement.
C’est là un tra­vail de mémoire dans laquelle la jouis­sance est beau­coup plus forte que tout ce que pro­posent les autres formes de com­mé­mo­ra­tion érotique.

jean-paul gavard-perret

Claude Louis-Combet, L’autre Edwarda, pho­to­gra­phies d’Elizabeth Prou­vost, La Sété­rée édi­tions, Crest,2012,  60 p.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Beaux livres

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>