Quand son univers s’effondre…
Connaît-on vraiment les personnes que l’on côtoie, celles avec qui les rapports sont les plus intimes ?
Virginia Fieto, pour son premier roman, part de ce constat et développe toute une intrigue portée par une femme dont l’existence paisible, lisse, se transforme. Son univers huppé, construit sur quelques piliers qui semblent inébranlables se fissure, s’effondre.
George March, un auteur à succès, vient de publier un nouveau roman. Mrs March ne travaille pas. Elle mène une existence oisive qui lui convient car elle est réservée, voire timide et noue difficilement des liens avec autrui. C’est Patricia, la patronne de la pâtisserie où elle a ses habitudes, qui la déstabilise. Celle-ci se passionne pour Johanna, l’héroïne du nouveau roman de George, et trouve qu’elle ressemble à Mrs March : “…le personnage principal. C’est vous, n’est-ce pas ? “.
Mais si Mrs March ne lit plus, avant leur parution, les romans de son mari, elle en connaît quelques éléments. Or, l’héroïne est une grosse prostituée pathétique, commune, détestable. Pourquoi George l’aurait-il pris comme modèle pour une femme si pathétique ?
Bouleversée, elle rentre et, en cachette de Martha la gouvernante de la maison, elle va chercher un exemplaire dans le bureau de son époux. En regardant sur la table de travail, elle trouve une coupure de journal qui dépasse d’un carnet. L’information porte sur une jeune femme disparue, certainement assassinée. Est-ce une note pour un futur livre ? Pourquoi s’intéresse-t-il à cette affaire ?
Et Mrs March s’interroge. Après toutes ces années, connaît-elle son mari ? Elle se met à enquêter, traquer des indices, des actes. Peu à peu le doute s’installe, ses soupçons la mènent bien au-delà de ce qu’elle imaginait. Mais la paranoïa n’est-elle pas en train de s’installer…
La romancière détaille le quotidien de cette dame qui ne vit que pour son fils et son mari, dont la principale occupation consiste à organiser des réceptions imposées par le statut de son romancier d’époux, de dîners d’anniversaire. Elle est aidée, pour la tenue du bel appartement, par une gouvernante dont elle a peur. Par des retours dans le passé de Mrs March, qui n’est jamais désignée autrement sauf une fois, l’auteure donne un profil intéressant.
Elle raconte leur rencontre alors qu’elle est encore étudiante et lui professeur, déjà vu comme un auteur prometteur. Ce sont les relations difficiles avec la fille de son mari, les regrets de sa mère quand elle l’a épousé, car étant divorcé il n’y a eu qu’une cérémonie civile. Et puis, ce que son mari raconte dans son livre, les situations, les mots crus employés pour décrire la prostitution. Pourquoi cette coupure de presse gardée soigneusement conservée. Est-ce vraiment pour un prochain roman ? N’est-il pas passé de la théorie à l’acte…
Des éléments se combinent dans une ronde débridée. Tout devient suspect, d’autant que Mrs March cherche à faire coller les propos, les actes, avec ce qu’elle imagine. Les interprétations deviennent de plus en plus hasardeuses. C’est alors une descente aux enfers avec hallucinations, élucubrations, pertes de repères…
Avec le portrait d’une femme qui voit sa vie se déliter, qui suspecte du pire l’homme qu’elle a admiré, aimé, Virginia Feito signe un thriller psychologique fort convaincant.
serge perraud
Virginia Feito, Mrs March (Mrs March), traduit de l’anglais par Élodie Leplat, le cherche midi coll. “Roman Noir”, janvier 2022, 352 p. – 22,00 €.