Toutes les figures du roman mystère
Si Thierry Smolderen commence son récit par un crime impossible — un homme seul dans une pièce avec une hache préhistorique plantée dans le crâne — il place ses explications au cœur de la Seconde Guerre mondiale. D’un côté des représentants, des sympathisants de l’Allemagne nazie, de l’autre les services secrets anglais qui ont recruté deux romanciers pour élaborer des stratégies.
Le scénariste utilise une situation véridique de cette période pour la façonner à sa manière et lui donner des prolongements fort intéressants et souvent inattendus. S’il met en scène deux romanciers authentiques avec Margery Allinggham et Cameron McCabe de son vrai nom Ernst Bornemann, exilé allemand, il livre une part de fiction avec son auteur Corneille Richelin. Il donne à la romancière la charge de véhiculer, par sa relation des faits, la charge émotionnelle nécessaire à l’histoire. Ainsi, elle apporte sa pierre à l’édifice tout en exprimant des doutes et soulignant l’absurdité de certains faits.
Ce 22 septembre 1991, au tout début de la matinée à Paris, des cris et des chocs retentissent dans un immeuble. Deux policiers font ouvrir la porte de l’appartement par un serrurier. Ils découvrent un homme étendu, une hache plantée dans le crane. La femme de ménage donne son identité, Corneille Richelin, un vieil écrivain de romans à suspense.
Pour comprendre d’où est parti le coup fatal et comment il a été porté, il faut remonter à l’automne 1938 à Paris. À l’initiative du baron Von Richtenback, quelques romanciers du mystère avaient été réunis pour un dîner. Outre Simenon, Steeman, Corneille Richelin, un jeune homme réservé, s’était joint au groupe. Il est l’auteur de Cauchemar en noir, un roman que le baron porte aux nues. Margery Allingham est également de la fête. Elle a été envoyée par les services secrets britanniques pour sonder le baron, proche des hautes sphères nazies par son oncle, quant aux velléités guerrières de l’Allemagne.
La guerre éclate et, pendant que Richelin est engagé par son protecteur pour écrire un film, en Angleterre Margery Allingham et Cameron McCabe manipulent le scénario de ses rêves pour contrer l’Allemagne nazie. Et pour Corneille, un cauchemar inexplicable commence qui ne prendra fin…
Avec un sens de la narration qui lui est propre, Thierry Smolderen déploie une histoire dense conduisant à une conclusion implacablement amenée. Il intègre nombre de problématiques, enrichissant son scénario avec les armes novatrices que les nazis cherchent à développer, la traque de l’Atlantide et du royaume de Thulé, des artefacts préhistoriques et un second crime impossible…
La mise en images de Jorge González, qui retient un trait très épuré, semi-réaliste et des couleurs sombres, retranscrit le ton et l’ambiance de l’histoire. Ses teintes donnent aux protagonistes des teints blafards, voilés. Cette atmosphère est renforcée par une mise en pages très classique aux vignettes bien alignées. Cependant des ruptures de pleine page annonçant un changement de chapitres rompent avec bonheur un rythme très séquentiel.
Un scénario original, un graphisme en totale osmose avec l’atmosphère développée offrent un album remarquable à tous points de vue.
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serge perraud
Thierry Smolderen (scénario) & Jorge González (dessin et couleur), Cauchemars ex machina, Dargaud, janvier 2022, 128 p. – 25,00 €.