Il fut un temps où, dans son magnifique Sortir du trou (chez le même éditeur), Odile Massé affirmait : “nous aurions préféré n’être pas, nous aurions préféré remonter dans le ventre maternel, y remonter jusqu’au tréfonds, jusqu’au flottement amniotique et plus loin encore, jusqu’à la séparation de l’ovule et de l’autre, retourner aux origines, aux limbes inconscients”.
Ici, elle livre le chant et un champ de langage par deux écritures conjuguées. Un “je” parle l’errance, l’autre plus général fait monde. La langue entre drame, comédie, satire du monde et épopée du langage fait du “je” ce que Novarina nomma “ La Quatrième Personne du singulier ”. Le texte en sa double structure du commun et du singulier évite tout logos, tout langage didactique, toute anecdote au profit d’une pure poésie au sens plein du terme.
Cette “forêt des mots” nous éloigne des couches asphyxiantes du sens en trouant la langue. Elle la libère en lui inoculant tous les virus possibles par cassures, érosions, là où “ça” parle. Et ce, non sans glissements de sens, borborygmes, et appels à un certain “maître” avant de perdre le fil et “porter” la voix dans un vide où tout flotte et où la pêche est paradoxalement bonne, presque dérisoirement miraculeuse.
Dans chaque texte écrit/parlé quelque chose avance, se précise sans qu’aucun sens ne se coagule vraiment. Nous sommes loin pourtant du gargouillis d’évier. Proliférations, scansions, attaques, excès de paroles deviennent opérettes, opéras, opérations – entendons ouvertures. Chaque moment du texte reste donc un abîme du sens, la sodomie des re-pères
L’œuvre nous permet ainsi de nous perdre et de nous retrouver tant elle souligne le fait que signalait Giacometti dans ses “Carnets” : “j’ai toujours eu l’impression d’être un personnage vague, un peu flou, mal situé”. Odile Massé ne cherche pas à améliorer une telle image : elle tire à travers son “je” et ses “nous” notre portrait tel qu’il est. En sa confusion.
C’est sans doute là une des expériences les plus radicales du pouvoir de la poésie en ses moutonnements de matière verbale et syntaxique.
jean-paul gavard-perret
Odile Massé, Forêt des mots, Dessins de Paul de Pignol, L’Atelier contemporain, Strasbourg, 2022, 158 p. — 20,00 €.