Pourquoi adopte-t-on un enfant ?
Après un diptyque s’articulant autour de l’adoption d’une petite péruvienne et sa remarquable intrigue, le duo revient sur le sujet avec un autre enfant ayant un vécu bien différent.
Gaëlle et Romain Guitry ont eu Esterina et Joseph, leurs deux enfants, très tôt. À la quarantaine, parce qu’ils ont visité le Yémen il y a quelques années lors d’un voyage touristique, ils décident d’adopter un enfant de ce pays devenu un champ de batailles avec toutes les conséquences induites. C’est Wajdi âgé de dix ans. Celui-ci, accompagné de sa mère et de sa petite sœur, a fui le pays et la guerre après que son père soit mort sous des bombardements. C’est au terme d’un périple dantesque qu’il est arrivé, seul, dans un camp de réfugiés où il a passé deux ans.
Après de longs mois de démarches, l’enfant arrive au 67 rue Simone-Veil. Il est accueilli par les parents, leur fille et un couple d’amis. Il ne parle pas français. Il a traversé tant de dangers que tout lui paraît effrayant. Les gestes les plus simples comme une embrassade sont mal interprétés. Et les incompréhensions s’enchaînent, les incidents de la vie quotidienne deviennent des accidents jusqu’au moment où…
Zidrou pose la problématique de l’adoption d’un enfant de dix ans ayant vécu la moitié de sa vie en enfer. Il a dû se protéger seul. Il a acquis ses réflexes de défense, d’autodéfense, de combats pour subsister. Ce n’est pas parce qu’il est transporté dans un monde où règnent, en principe, la paix et une certaine sérénité, que ces reflexes vont disparaître du jour au lendemain. L’approche d’un adulte, dans son univers, signifie un danger. S’il veut garder le peu qu’il possède, il doit l’avoir constamment avec lui.
Le scénariste livre un portrait très étudié de cet enfant, une description très réaliste de ses attitudes et des motivations qui les animent.
Mais, il étrille joyeusement l’attitude de ce couple parvenu à la quarantaine, du bon côté des actualités. Ils ont acquis un certain statut social, Romain est dentiste, Gaëlle travaille à temps partiel dans une librairie éditrice d’œuvres d’art. Pour se donner bonne conscience, se rendre utile, ils décident d’adopter un orphelin. Zidrou brocarde également les services administratifs avec le temps d’élaboration des dossiers, de prise de décision, les pièces égarées, les retards…
L’évolution de la situation avec le décalage entre le vécu d’un enfant et les attentes de ses parents adoptifs suscite une tension et l’émergence d’une intrigue. Cependant, ce n’est pas un thriller.
Arno Monin assure un graphisme réaliste à souhait intégrant toutefois quelques touches caricaturales en mettant en valeur des regards. Il donne une belle galerie de personnages, dotant chacun d’une nature affirmée. Il place des acteurs dans des décors parfaitement rendus, conformes aux situations évoquées. Ses couleurs douces, ses teintes très agréables à l’œil rendent ses planches superbes.
Arno Monin est-il un inconditionnel de Tintin ? Il présente, par deux fois, Romain lisant des albums du héros à la houppette, au Tibet et Le Lotus bleu.
Avec ce nouvel album, le scénariste met en scène une compassion allégorique, une incompréhension entre deux vécus bien différents, un écart entre deux visions mise en images de belle manière.
serge perraud
Zidrou (scénario) & Arno Monin (dessins et couleurs), L’Adoption — cycle 2 : t.01 – Wajdi, Bamboo, label “Grand Angle”, septembre 2021, 72 p. – 15,90 €.