Beau comme une voilette sur une table de dissection
A lire Noir Violette de Marie-Laure Dagoit on pense moins qu’on ne subit la singularité de la pensée. L’écriture ne soumet plus aux leurres des concepts qui cryptent habituellement le réel. Seule la « choséïté » (Beckett) plus que la « chose » surgit de l’énumération des atours et des autours féminins. Et ce, pour toute rémunération du fantasme. Sachant combien la vérité est un préjugé du verbe (d’action en particulier), l’auteur l’élimine au profit de la forme nominale. Celle-ci multiplie des changements de (à) vue et permet d’assister à un pur spectacle où l’objet-sujet du livre semble avoir oublié de se rendre. Comme dans A cœur ouvert, le siège de l’émotion est remis en jonction avec sa viande et les mains.
Dessins découpés dans celui-ci, termes nominaux dans l’autre livre se bornent à l’évidence de contours afin de cerner virtuellement la qualité d’un « moi » dont il ne sera rien dit de plus. L’ensemble du territoire mental passe sous effet de crudité dans A cœur ouvert et de voiles dans Noir Violette. Le lecteur glisse d’une obscurité à une autre en un étrange sacerdoce. Celui-ci ne se transforme ni en sacrifice ni en la naissance du mythe féminin. Dans ce texte, la nature de l’écriture est examinée par celle la femme, et vice-versa. Dans A cœur ouvert le même processus a lieu entre l’image et les mots. L’opération conduit dans des régions où l’on ne reconnaît pas forcément leurs traits habituels. Marie-Laure Dagoit fait donc ressortir l’aberration du système de l’Un. La complexité chaotique créée par l’accumulation prouve que l’abîme d’alternatives devient le destin du lecteur (ou de la lectrice).
A cœur ouvert provoque des élans mécaniques imprévus. Noir violette une illumination pour la pensée. Celle-ci se prend à douter de son postulat. L’abstention diligente du sujet apparemment évoqué permet d’atteindre non une conformité aux apparences mais sa rupture. Tandis que dans le premier livre la dissection entraîne un appel, dans le second l’effet le plus descriptif oblige le lecteur à renoncer à ce qu’il espère : la femme est mise sous la protection de l’indicible.
jean-paul gavard-perret
Marie-Laure Dagoit,
- Noir Violette, Editions Derrière la salle de bains, Rouen, 8,00 euros
- A cœur ouvert (idem), 20,00 euros.