Edgar P. Jacobs revu par Jean Van Hamme…
Jean Van Hamme reprend l’esprit qui animait Jacobs lors de la scénarisation de ses albums. Il donne une suite magnifique au Secret de l’Espadon dont la première planche paraissait le 26 septembre 1946 dans l’hebdomadaire Tintin. Il a su retrouver les tics du créateur tels ces dialogues conséquents, les cartouches nombreux et étoffés, l’art de multiplier les actions et les retournements de situations.
Il introduit cependant, avec sa verve de conteur de belles touches personnelles, et glisse de nombreux traits d’humour toujours les bienvenus. Il propose de belles idées de second degré tant dans les relations entre les deux héros que dans leurs rapports à l’ensemble narratif.
En cette soirée de janvier 1948, la major Rupert Humbletweed se rend sur un aéroport militaire pour une nouvelle mission en Orient. Il est abattu pendant un faux contrôle mené par l’IRA. Un sosie prend sa place.
Quelques jours plus tard, un ancien officier nazi débarque clandestinement sur une côte d’Irlande où le responsable de l’IRA a préparé une planque. Il veut, avec l’aide des indépendantistes, reprendre l’Opération Buckingham que l’Abwehr, en 1940, n’avait pas menée à son terme, ni en 1944.
C’est à quelques cinq mille kilomètres que Mortimer, sur la demande expresse de Blake, arrive sur le site de Makran avec le sergent Nasir. C’est Humbletweed qui l’accueille. Il doit changer les codes des cinq Espadons restant après la guerre contre les hordes de Basam-Damdu, pour les ramener en Angleterre. En effet, la présence britannique n’est plus du tout souhaitée depuis l’indépendance de l’Inde et la partition du Pakistan.
Outre un récit dense et dynamique qui mène, avec maestria, vers un dénouement heureux mais très inattendu, il introduit quelques nouveautés qui n’étaient pas envisageables à l’époque. La loi sur les publications destinées à la jeunesse n‘était pas encore promulguée mais la censure ne badinait pas avec les écarts. Il place les deux héros dans une telle posture que deux membres du Centaur Club, où ils dînent, s’offusquent. Il met en scène une histoire sentimentale avec une scène de lit presque érotique.
Il introduit les matériels et accessoires utilisés à la fin des années 1940 telle la fameuse machine à stencils. Est-ce le scénariste ou les dessinateurs qui ont pensé à mettre, sur le mollet d’un personnage, un fixe-chaussette, cette sorte de jarretière qui permettait de faire tenir les chaussettes en place comme les dames devaient en mettre, plus haut, pour tenir leurs bas ?
Van Hamme inscrit son récit dans un cadre historique mêlant la souveraineté de l’Inde et du Pakistan et la guerre menée par l’IRA, l’Irish Republican Army.
Si le dessin se partage entre Teun Berserik et Peter Van Dongen, la mise en couleurs relève du seul talent de Peter Van Dongen, ce qui crée une homogénéité. Rompu à l’exercice après avoir mis en images deux albums précédents (La Vallée des Immortels), tous deux affinent leur maîtrise jacobsienne. Comme le créateur original, ils placent de nombreux détails dans leurs vignettes, ce qui offre de belles découvertes. On mesure le travail conséquent sur la documentation et leur belle connaissance de la période.
Un scénario magnifiquement imaginé où Jean Van Hamme démontre, si besoin était, tout son talent de raconteur de récits d’aventure et d’action. Le duo de dessinateurs fait merveille pour restituer l’esprit d’un album devenu mythique, une référence en matière de bande dessinée.
À lire une telle histoire, on ne peut que féliciter l’épouse de Jean Van Hamme pour avoir promis à l’éditeur l’écriture d’un scénario, et l’engager… à recommencer.
lire un extrait
serge perraud
Jean Van Hamme (scénario), Teun Berserik (dessin) & Peter Van Dongen (dessin et couleur), Blake & Mortimer – t.28 : Le Dernier Espadon, Dargaud, coll. “Blake & Mortimer”, novembre 2021, 64 p. – 15,95 €.