Massimo Carlotto, À la fin d’un jour ennuyeux

Quand un authen­tique méchant tombe sur…

Gior­gio Pel­le­grini pos­sède la Nena, un luxueux res­tau­rant fré­quenté par les membres des milieux poli­tique et affai­riste d’une grande cité de Véné­tie. Sante Bria­nese, un député de la majo­rité, en a fait son QG. En tant qu’avocat, il a blan­chi Gior­gio de son lourd passé et lui a per­mis d’occuper sa place actuelle. Gior­gio, qui est aux petits soins pour son bien­fai­teur, met en per­ma­nence à sa dis­po­si­tion un salon dis­cret pour y trai­ter des affaires de clien­té­lisme. Avec l’aide de Nico­letta Riz­zardi, il a mis sur pied un réseau de pros­ti­tuées que Bria­nese uti­lise pour faci­li­ter ses négo­cia­tions dou­teuses. Gior­gio lui a confié la ges­tion d’une grosse somme d’argent. Il coule une exis­tence tran­quille entre son tra­vail, son épouse qu’il mani­pule sadi­que­ment et sa future maî­tresse dont le sort ne sera pas dif­fé­rent.
Un jour, le député recon­naît que les pla­ce­ments ont été mau­vais, qu’ils ne pour­ront pas retrou­ver leur mise. Mais,Giorgio apprend, qu’en fait, Sante l’escroque. Furieux, pour mon­trer qu’on ne peut pas l’arnaquer impu­né­ment, il se rend au domi­cile de l’avocat, agresse vio­lem­ment la femme de chambre et lui fait com­prendre qu’il en est l’auteur. Bria­nese réagit vive­ment. Il écarte Gior­gio des cercles impor­tants et le place, lui et son res­tau­rant, sous la coupe de mafieux cala­brais. La guerre est déclarée …

Le per­son­nage prin­ci­pal de ce roman se révèle par­ti­cu­liè­re­ment ignoble, odieux, sans morale, sans freins d’aucune sorte, juste sou­cieux de sa propre satis­fac­tion. La lit­té­ra­ture a déjà accou­ché de monstres remar­quables mais, avec Gior­gio Pel­le­grini, Mas­simo Car­lotto atteint un som­met. Cepen­dant, se démarque-t-il autant de la nature humaine ? Ce per­son­nage qui a tout pour être détesté, que l’on peut consi­dé­rer comme un rebut de l’humanité est-il si éloi­gné de nombre d’individus ? L’auteur, en cent quatre-vingt-dix pages, en dresse un por­trait impres­sion­nant et éta­blit un cata­logue presque com­plet d’exactions, d’attitudes tyran­niques volon­tai­re­ment humi­liantes. Il pro­pose, en deux heures de lec­ture, une suc­ces­sion de situa­tions qui, dans la réa­lité, s’étaleraient dans le temps. L’attitude de cet homme, vis-à-vis des femmes, est-elle si éloi­gnée de celui qui frappe sa com­pagne ? Celui qui force ses enfants à des actes sexuels n’est-il pas aussi dégoû­tant ? Ce per­son­nage est-il bien dif­fé­rent de ces poli­tiques avides d’avantages, de ces exploi­teurs qui se moquent de savoir dans quelles condi­tions sont fabri­qués les objets qui leur per­mettent d’engranger des pro­fits obs­cènes, de ces escrocs de l’agro-alimentaire qui, pour quelques mil­lièmes d’euros gagnés par plat, n’hésitent pas à empoi­son­ner leurs contem­po­rains ? Où sont les véri­tables monstres ?
Celui de Mas­simo Car­lotto réa­lise des crimes dans une fic­tion, bien à l’abri dans des pages, sans dan­ger pour ses contem­po­rains, ce qui n’est pas le cas de ceux qui se disent nor­maux, mais qui sont bien aussi mal­fai­sants qu’un Gior­gio Pel­le­grini. Tou­te­fois, l’auteur place éga­le­ment une inter­pel­la­tion bien plus dif­fi­cile à accep­ter. Ne sommes-nous pas aussi des monstres, à notre échelle, par des inci­vi­li­tés, des mou­ve­ments d’humeur, des paroles bles­santes ?
Paral­lè­le­ment, Car­lotto pro­pose l’image d’une classe poli­tique peu relui­sante avec des élus prêts à toutes les com­pro­mis­sions, à toutes les mal­ver­sa­tions, n’hésitant pas à recou­rir au chan­tage, à la menace, à la col­lu­sion avec des orga­ni­sa­tions cri­mi­nelles… Avec le député-avocat, il met en scène un excellent repré­sen­tant d’une horde pré­sente dans tous les pays. Avec ces acteurs prêts à tout pour arri­ver à leurs fins, l’auteur concocte une intrigue dont il est bien dif­fi­cile de cer­ner qu’elle pourra en être la chute. Et celle-ci est à la hauteur !

Dans ce roman, Mas­simo Car­lotto pose un regard désa­busé sur la nature humaine, sur le libre arbitre, sur l’aliénation consen­tie. Avec À la fin d’un jour ennuyeux, il pré­sente un livre noir, au texte res­serré, dense, qui inter­pelle et qui, une fois refermé, sus­cite une kyrielle de ques­tions han­tant l’esprit pour longtemps.

serge per­raud

Mas­simo Car­lotto, À la fin d’un jour ennuyeux, tra­duit de l’italien par Serge Qua­drup­pani, Édi­tions Métai­lié, coll. « Métai­lié noir », février 2013, 192 p. — 17,50 €.

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