Roberto Bolano, Les Détectives sauvages

Poésie, humour et mystère 

Cette réédi­tion des Détec­tives sau­vages cor­res­pond au tome V de ses œuvres com­plètes. Je conseille­rais aux lec­teurs qui ne connaissent l’écrivain que de nom de com­men­cer par ce volume pré­cis, s’agissant du plus entraî­nant des chefs-d’œuvre de Bolano, et qui leur don­nera cer­tai­ne­ment envie de décou­vrir ses autres livres.

L’action com­mence en 1975, par le jour­nal intime de Juan Gar­cia Madero, 17 ans, qui délaisse ses études de droit pour se consa­crer à la poé­sie, venant d’être adoubé par ses aînés, Ulises Lima et Arturo Belano (le double fic­tion­nel de l’auteur) qui ont lancé à Mexico City un mou­ve­ment nommé “réa­lisme vis­cé­ral“. Le mani­feste de ce der­nier ne nous sera jamais fourni ; il est per­mis de sup­po­ser que c’est une revi­vis­cence du sur­réa­lisme ; il peut s’agir aussi bien du pro­lon­ge­ment d’une vieille école poé­tique mexi­caine, qui s’appelait de même.
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la valeur des écrits des “réal-viscéralistes“ (qui ne figurent pas dans le texte), une chose est cer­taine : ces jeunes gens et leur entou­rage raf­folent de poé­sie et ont envie d’en découdre avec l’académisme incarné ici par Octa­vio Paz. D’autres nar­ra­teurs vont prendre le relais, entre 1976 et 1996, pour témoi­gner de diverses étapes du par­cours de Lima et Belano, avant qu’on ne retrouve la suite du jour­nal de Gar­cia Madero, qui nous emmène sur les traces de Cesà­rea Tina­jero, poé­tesse des années 1920, d’autant plus fas­ci­nante pour les pro­ta­go­nistes que ses écrits semblent avoir dis­paru, et qu’elle-même s’est volon­tai­re­ment effa­cée en quit­tant la capi­tale pour quelque vil­lage perdu du Nord.

A quoi tient l’attrait de ce roman ? D’abord, à l’écriture qui com­bine la foca­li­sa­tion interne avec la dis­tan­cia­tion, par le biais de l’humour, per­met­tant aux per­son­nages de res­ter atta­chants tout en appa­rais­sant sou­vent comme risibles. Ensuite, à la manière dont Bolano a construit sa double “enquête sau­vage“ (celle concer­nant Tina­jero et celle au sujet de Lima et Belano), où la curio­sité du lec­teur est constam­ment aigui­sée par de petites décou­vertes sur­pre­nantes, qui engendrent de nou­veaux mys­tères.
Par ailleurs, il y a dans le récit une part de sus­pense d’ordre cri­mi­nel (la jeune pros­ti­tuée Lupe arrivera-t-elle à échap­per à son maque­reau sadique ?) et une ligne nar­ra­tive plus dis­crète, mais non moins pre­nante, qui cor­res­pond aux dif­fi­cul­tés diverses et variées d’Arturo et d’Ulises pour sur­vivre phy­si­que­ment et mora­le­ment au fil de leurs péré­gri­na­tions au Mexique, en Europe, en Afrique ou en Israël.

Un roman magis­tral qu’on peut relire maintes fois sans épui­ser sa saveur et ses énigmes.

agathe de lastyns

Roberto Bolano, Les Détec­tives sau­vages, tra­duit de l’espagnol (Chili) par Robert Amu­tio, l’Olivier, novembre 2021, 758 p. – 26,00 €.

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