Peter Dempf, Le Mystère Caravage

Un pas­sion­nant jeu de piste à tra­vers la vie et l’œuvre 

Si cer­taines de ses œuvres ont tra­versé le temps pour venir jusqu’à notre époque afin de per­mettre la mesure de l’immense talent de ce peintre, la vie de celui-ci reste, à bien des égards, un mys­tère. L’Histoire a retenu quelques faits, quelques dates, lais­sant de vastes plages incon­nues. Quelle ten­ta­tion que vou­loir com­bler ces lacunes, sur­tout quand on a la capa­cité pour le faire de belle manière !
De plus, les quelques don­nées véri­diques sont dignes d’un roman de cape et d’épée dans la Rome pon­ti­fi­cale. Cara­vage y a écumé les tavernes, fré­quenté les mau­vais gar­çons, mais aussi l’élite culti­vée de l’époque.

Sur un mar­ché romain, Nerina, l’apprentie de Miche­lan­gelo Merisi da Cara­vag­gio, s’inquiète Elle a revu l’homme qui rode aux abords de l’atelier.
Sci­pione Bor­ghese est venu à Rome à la demande son oncle Camillo. Celui-ci brigue la tiare papale d’un Clé­ment VIII mou­rant. Il veut que son neveu orga­nise une cabale contre le parti espa­gnol au pou­voir au Vati­can.
Enrico est le secré­taire de Fer­nan­dino Gon­zaga, le fils du duc de Man­toue. Celui-ci est convo­qué, au petit jour, chez Borg­hèse. Enrico trot­tine à côté de la chaise à por­teur en don­nant des infor­ma­tions à son maître quand il croise le regard de Nerina.
Des hommes viennent cher­cher Miche­lan­gelo, qui cuve son vin, car ils ont trouvé le corps sans vie de Lena, une pros­ti­tuée qu’il appré­ciait comme modèle et comme com­pagne.
Pour faire bas­cu­ler l’opinion en leur faveur, les Borg­hèse veulent uti­li­ser la pein­ture sul­fu­reuse du Cara­vag­gio. Il lui com­mande une toile. Celui-ci met alors en chan­tier La Mort de la Vierge avec Lena dans le rôle de Marie et des men­diants à la place des saints.
Mais c’est le drame quand Michan­gelo est accusé d’un meurtre per­pé­tré à l’issue d’une beuverie…

L’action du pré­sent roman, struc­tu­rée en quatre par­ties, se déroule de 1605 au 18 juillet 1610, date de la mort de Miche­lan­gelo. Ces der­nières années de la vie du peintre sont par­ti­cu­liè­re­ment heur­tées car il est sans cesse en fuite. Il quitte Rome pour Naples puis Malte, Syra­cuse, Palerme et retour à Naples où il tente de reve­nir à Rome où le pape Paul V (Camillo Bor­ghese) lui a accordé son par­don.
Le por­trait du Cara­vage, dressé par l’auteur, n’est pas très flat­teur ni brillant mais cer­tai­ne­ment des plus authen­tiques. C’est un homme violent et que­rel­leur qui a eu à faire, moult fois, à la police pon­ti­fi­cale. C’est un grand débau­ché au sens de l’époque. Il boit énor­mé­ment, se met en colère faci­le­ment et appré­cie la com­pa­gnie des ribaudes.

Par contre, les luttes féroces que se livraient les clans d’ecclésiastiques pour faire accé­der leur cham­pion à la papauté sont tout à fait authen­tiques et rela­tées avec authen­ti­cité. Ces “reli­gieux” sont prêts à tout pour cela et, entre le parti espa­gnol, ita­lien et fran­çais, les com­plots vont bon train.
Le roman­cier livre de nom­breux détails sur la vie quo­ti­dienne, sur l’environnement pos­sible du peintre, sur les prin­ci­paux tableaux peints pen­dant ces cinq années de fuite, de com­plots, de morts.
Les zones d’ombre sont nom­breuses et recons­ti­tuer his­to­ri­que­ment la vie du Cara­vage relève de la gageure. Peter Dempf entoure le per­son­nage cen­tral d’une gale­rie de pro­ta­go­nistes réels et de fic­tion. Ainsi, le couple Nerina-Enrico est créé pour nour­rir une trame roma­nesque car il semble que le peintre n’ait jamais eu d’apprenti,surtout une jeune femme ! Celles-ci étaient-elles capables de tenir un pinceau ?

Mais il uti­lise des per­son­nages des tableaux leur don­nant une dimen­sion réelle. Ainsi, un lien peut-être éta­bli entre Nerina et la pré­sence, au pre­mier plan, d’une femme dans La Mort de la Vierge. Si ce tableau est lar­ge­ment décrit, on trouve des éclai­rages pré­cis, des com­men­taires, des infor­ma­tions sur, par exemple, La Voca­tion de Saint Mat­thieu, Les sept œuvres de la Misé­ri­corde
Avec Le Mys­tère Cara­vage, Peter Dempf fait revivre, à tra­vers les cinq der­nières années de sa vie, un génie de la pein­ture sans cacher quoi que ce soit de ses capa­ci­tés pic­tu­rales et de ses défauts. Il entoure ce récit d’une belle intrigue por­tée par des per­son­nages atta­chants ou déplai­sants au pos­sible. Un grand moment de lecture !

serge per­raud

Peter Dempf, Le Mys­tère Cara­vage (Das Vermächt­nis des Cara­vag­gio), tra­duit de l’allemand par Joël Fal­coz, le cherche midi, octobre 2021, 592 p. – 22,00 €.

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies, Pôle noir / Thriller, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>