Le mot “Aumaille” serait issu du latin “animalia” qui désigne les grands animaux, ceux de la ferme, et renvoie en écho à l’anima, à l’âme. Mais Laumailler, c’est en même temps le nom de jeune fille de la grand-mère paysanne de l’auteur, longuement évoquée en ces pages, qui avait charge de l’entretien du cimetière du village.
Toutefois, le titre peut tout autant évoquer un dérivé du verbe lamer qui veut dire couvrir d’une pierre tombale.
Kristell Loquet évoque ici certains de ses souvenirs d’enfance avec le rôle que ses défunts occupent encore dans sa vie.
Plus qu’une résurrection des fantômes, il s’agit de faire revivre des proches dans les décors communs à l’auteure comme aux disparus.
L’écriture fait germer ce qui semblait effacé. Car en quittant leur vie les proches n’ont pas laissé Loquet seul. Au fil de cette remontée, êtres ‚animaux, paysages, objets contribuent à reformuler un royaume au sein d’un récit qui devient sans réels début et fin.
Pour preuve, sont exclus lettres capitales et points finaux. C’est là accorder un sens graphique à l’enchaînement des séquences du souvenir dans une écriture sans pause et en une succession de visions.
Tout un monde se réincarne là où les superbes dessins de Daniel Dezeuze complètent, dans leur étoffe tutélaire acharnée à ralentir nos cycles d’oubli et de manière puissante, ce road-movie qui apparemment filant vers le passé rameute l’avenir.
C’est regravir des pentes, fonder des trouées de lumière entre les derniers arbres et une sorte d’éternité.
jean-paul gavard-perret
Kristell Loquet & Daniel Dezeuze , L’Aumaille, éditions de l’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2022, 128 p. — 15,00 €.