Une mise en abyme passionnante
Antoine de Saint-Exupéry décolle de Borgo, en Corse, le 31 juillet 1944, à bord d’un bombardier P-38 Lightning, pour une mission de reconnaissance jusqu’à Grenoble. Il disparaît sans laisser de traces. C’est à New York, où il était réfugié depuis janvier 1941, qu’il a écrit Le Petit Prince. Son manuscrit a été traduit en américain pour être publié. Or il n’attend pas sa sortie pour retourner combattre.
Le 6 avril 1943, jour de la sortie de Little Prince, Saint-Exupéry navigue vers l’Afrique du nord. Du moins, c’est ce qu’écrit Pierre Chevrier, le pseudonyme de Nelly de Vogüe, sa maîtresse parisienne. Mais, s’il est parti après la publication, pourquoi n’a-t-il pas emporté un exemplaire ?
C’est en 1998, au large de l’île de Riou, qu’un pêcheur ramène dans ses filets une gourmette en argent offerte par son éditeur, portant le nom d’Antoine et de son épouse. Les coïncidences et les interrogations se multiplient. La trouvaille de cette gourmette est providentielle mais, avant son repêchage, personne ne l’avait jamais vue. Des fouilles, sur les lieux, permettent de remonter des pièces appartenant à un P-38. Un pilote allemand se souvient, plus de soixante ans après, avoir abattu dans les parages un avion américain, un fait d’arme qui n’a été consigné nulle part.
À Borgo, personne ne sait où Saint-Exupéry a passé sa dernière nuit. De plus, c’était sa dernière mission. Atteint par l’âge il allait être démobilisé de cette arme.
Voici quelques-unes des données historiques. À partir de ces faits, de ces situations, Michel Bussi mêle des éléments de fiction pour créer une intrigue et mener une enquête.
Oko Dòlo, un milliardaire camerounais recrute Neven Le Faou, un mécanicien spécialiste des vieux avions et Andie, une détective stagiaire de la Fox Company. Depuis l’enfance, il est passionné par le conte de Saint-Exupéry. Oko, avec cinq autres fondus du Petit Prince, a fondé le Club 612 qui s’est fixé comme buts de résoudre le mystère de la mort du héros du conte et celle de son créateur. Même si le Petit Prince a été mordu par le serpent, la concordance entre les deux décès est forte.
Les deux enquêteurs vont alors rencontrer les membres du club, réunir des informations, des témoignages, reconstituer la chronologie des événements, des faits depuis l’arrivée de l’auteur aux États-Unis en 1941. Il est troublant de mesurer toutes les incohérences, toutes les actions dérangeants la logique, leurs enchainements.
Le Petit Prince, dont il existe quatre cent trente-quatre traductions s’est vendu à cent soixante-dix millions d’exemplaires dans le monde. Il se vend, chaque année, plusieurs centaines de milliers de livres. Michel Bussi a toujours été fasciné par ce livre. Il donne ici la pleine puissance de sa capacité à s’approprier les faits authentiques, historiques, et à les plier, avec un art de prestidigitateur, pour en faire une magnifique énigme et par suite, une prodigieuse intrigue.
Il avait déjà réalisé ce genre d’exploit littéraire avec Arsène Lupin dans Code Lupin, son premier roman paru en 2006.
Il faut signaler que les droits d’auteur de cet ouvrage seront versés à la Fondation Antoine de Saint-Exupéry pour la Jeunesse. Qui a tué le Petit Prince ? Saint-Exupéry n’aurait-il pas dissimulé dans le conte l’identité de l’assassin, lui qui est mort de façon aussi mystérieuse quelques mois après ? Et Michel Bussi passe en revue hypothèses, coupables potentiels, mobiles et met en lumière la profondeur de cette œuvre.
On n’a qu’une envie, terminer le présent roman pour se replonger dans la lecture du conte, une lecture éclairée.
serge perraud
Michel Bussi, Code 612 — Qui a tué le Petit Prince ?, Les Presses de la Cité, octobre 2021, 238 p. – 14,90 €.