Les implications de la fiction
Nathalie Quintane brouille les cartes en précisant : dans ce livre “je ne m’occupe pas de fiction”. Manière pour elle de refuser ce qui serait du domaine de l’imaginaire au profit du réel.
C’est la manière d’éliminer toute gratuité spéculative pour recomposer le réel par ce qui seul dans la littérature compte : l’écriture et les dispositifs formels qu’elle travaille.
Dans ce livre, le titre fait écho au nom même de l’héroïne : Nelly Cavallero. Il rappelle d’ailleurs un titre qui mettait en scène chez l’auteure une autre cavalière “Jeanne Darc” (1998). Il y eut aussi “Cavale” (2006) avec Jeanne Hachette, autre célèbre héroïne.
“La Cavalière” reprend donc un motif ancien et récurrent de l’œuvre.
Mais cette héroïne française est plus proche de nous. Elle fut professeure de philo dans une ville de province au milieu des années 70. D’emblée, elle est mal vue : “Avec son air de dire Je fais ce que je veux de mon cul”. On la juge provocante, ses méthodes d’enseignement sont novatrices et incomprises si bien que, suite à un scandale de présumées partouzes avec ses élèves, elle est radiée de l’Education nationale.
C’est une histoire vraie et non unique : de nombreux enseignants (certains sont nommés dans le livre) voulaient changer les logiques pédagogiques pour changer la société. Mais l’institution a fini par digérer ou par rejeter (comme ici) l’inassimilable. Et Quintane a choisi cet événement parce qu’il lui donne l’occasion d’exprimer une époque particulière et qui peut tout autant encore exister.
Il existe donc un retour au réel dans la fiction mais avec une distance de près de cinquante ans. Mais l’éloignement fait le jeu de la proximité par des adaptations de focale et variations d’angles et de lieux et en reprenant — entre autres — la presse de l’époque. Mais tout ce travail n’est pas la reprise d’un scandale ou d’un fait divers au nom du passé mais pour une révision dans l’actualité. Preuve que la fiction permet de révéler ce qui ne peut l’être que dans le temps et sans jouer de l’affabulation.
Quintane offre ainsi une leçon sur les implications de la fiction. Elle différencie le travail de l’écrivant utilisant transitivement la langue comme un outil de l’écrivain qui la prend comme une matière en elle-même pour transformer le monde sans occulter le réel. Ce qui n’empêche nullement l’empathie et la tendresse dans ce qui tient d’un appel toujours possible à la révolution dans une période qui ne l’espère plus sinon sous la forme de son parfait contraire et d’un repli identitaire.
jean-paul gavard-perret
Nathalie Quintane, La Cavalière, P.O.L éditeur, Paris, 2021, 160 p..