Gaëlle Josse, Une femme en contre-jour

« V.Smith »

Le musée du Luxem­bourg dévoile, jusqu’au 16 jan­vier, à l’occasion de sa der­nière expo­si­tion, une antho­lo­gie de l’oeuvre immense de Vivian Maier, «  street pho­to­gra­pher », morte en 2009 à Chi­cago et qu’un jeune homme, John Maloof, a sor­tie de l’oubli. Il réa­lise en 2013, un docu­men­taire Fin­ding Vivian Maier, retra­çant la décou­verte dans des car­tons, d’ innom­brables pho­tos, néga­tifs,  pel­li­cules et films d’une par­faite incon­nue, lors d’une vente aux enchères.
Il lui fal­lait dès lors retrou­ver les iti­né­raires com­plexes de cette nurse franco-américaine, morte dans la pau­vreté et la soli­tude et ten­ter de cer­ner son étrange choix de ne pas fran­chir le pas de la révé­la­tion publique de son travail.

Gaëlle Josse à son tour, en 2019, inves­tit l’histoire de celle qui arpenta les rues de deux grandes villes amé­ri­caines, New York et Chi­cago, sai­sis­sant scènes de rue, visages humains de tous les âges et de toutes les condi­tions mais aussi beau­tés du monde puisqu’elle voya­gea beau­coup, y com­pris en  France, puisque sa mère était ori­gi­naire du Champ­saur et qu’elle vécut plu­sieurs années dans ce pays rude.

Une femme en contre-jour se pré­sente comme un roman (le qua­trième de l’auteure). Il est bien pré­cisé par l’éditeur Noir sur Blanc « This is  a work of fic­tion ». Ce qui éton­nera sans doute le lec­teur et la lec­trice tant le texte fonc­tionne sur le mode d’une bio­gra­phie docu­men­tée construite sur une assez clas­sique ana­lepse. Chute fatale au bord du lac Michi­gan en inci­pit et retour à la généa­lo­gie fami­liale puis à la nais­sance et  au reste de cette vie cha­hu­tée mais si  créa­tive. Les per­son­nages réels et leurs iden­ti­tés sont convo­qués.
L’écriture elle-même ne s’éloigne pas d’une méthode de recons­ti­tu­tion, sans jamais aller vers une poé­tique lit­té­raire qui ferait écho à celle de la pho­to­graphe. Rien de l’ordre de la cor­res­pon­dance bau­de­lai­rienne et c’est sans doute dom­mage car la femme et l’oeuvre de Vivian Maier portent en elles-mêmes cette matière faite de la pré­sence et de l’absence au monde.

Les autres (sur­tout les familles chez qui elle tra­vailla à s’occuper des enfants) n’ont jamais eu de prise sur elle. Elle est silence et dis­pa­ri­tion. Son image pré­sente dans ses « auto­por­traits – mirages » ne dit rien d’elle et en cela, n’a rien de nar­cis­sique. Elle atteint à une forme d’être-là pur. Ils la frag­mentent, la dédoublent, la reflètent, la mul­ti­plient. Son visage ne fait que regar­der, n’exprime rien  le sou­rire n’existe pas. Il  est juste une image, figure de face et corps de dos, par­fois. Cercle par­fait et ver­ti­gi­neux du miroir.
Pas un miroir pour « la plus belle » mais pour la méta­phy­sique en noir et blanc. Le titre d’ailleurs du livre de G. Fosse fait ques­tion car le contre-jour inter­roge son objet. La lumière est devant le pho­to­graphe, l’éblouit en quelque sorte et per­turbe la vision de ce qui est pho­to­gra­phié, l’éclaire par l’arrière. Que signi­fie­rait cela pour la pho­to­graphe ou l’objet du livre, cet éclai­rage particulier ?

G. Fosse va jusqu’à mettre en paral­lèle son œuvre lit­té­raire et celle de l’américaine, preuve s’il en était que nous ne sommes abso­lu­ment pas dans le roma­nesque… Mais de manière bien banale. La gran­deur de Vivian Maier réside jus­te­ment dans la conscience qu’elle a de son génie et en même temps de son refus de le mon­trer.
Son art est inté­rieur dans le boî­tier de son Rol­lei qui fait corps avec elle. Elle ne fit que peu de tirages d’ailleurs. Orgueil peut-être absolu, folie du retrait, iden­tité secrète comme celle qu’elle lança sou­vent : être Vivian Smith, être invi­sible parce que seul compte ce qu’elle vit de réel­le­ment visible en photographiant.

feuille­ter le roman

marie du crest

Gaëlle Josse, Une femme en contre-jourNota­bi­lia 2019, 150 p. — 14,00 €.

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