Une dystopie dure et poétique : belle claque
Le lecteur amateur de polar aura connu Boris Quercia à travers sa fameuse trilogie autour du personnage de Santiago Quinones, policier alcoolique et drogué qui traîne son dégoût de la vie dans la ville qui porte son nom et sert de second personnage principal à la série.
Dans Les Rêves qui nous restent, l’auteur abandonne le thriller mais pas le noir, au profit d’une dystopie futuriste, avec cependant un personnage de flic à la manœuvre, autre loser proche du désespoir.
Dans un futur et un lieu indéterminé – entre la « vieille ville » où vivent les exclus de la société de consommation et la « City » pour ceux qui se plient aux règles en vigueur depuis les « événements d’Oslo », acte fondateur majeur et violent qui a marqué le début de cette société totalitaire, dont on ne saura toutefois pas précisément ce qu’ils ont été – Natalio est « classe 5 », c’est-à-dire qu’il fait partie de la catégorie la plus méprisée des flics de la City.
Comme tout un chacun, il a à son service un « électroquant », sorte de robot humanoïde à tout faire. Le sien, cependant, présente une particularité à la fois déstabilisante et peut-être menaçante : il fait montre d’initiative et presque de conscience. Il faut dire qu’il s’agit d’une machine reconditionnée, la seule que Natalio a pu se payer parce qu’il est fauché. C’est d’ailleurs aussi pourquoi il est réduit à accepter pour vivre des « missions » glauques qui lui sont données par une entité tout à fait inquiétante même si les services qu’elle propose sont « gratuits ».
Le roman est court, on pourrait presque le qualifier de classique puisqu’il rassemble les éléments habituels du genre (un gouvernement totalitaire, une société oppressante, brutale et inégalitaire, des élites et des grandes entités toutes-puissantes et prêtes à tout pour conserver la mainmise sur le reste de la population, un groupe de rebelles sévèrement réprimés par le pouvoir en place), si ce n’était cette réflexion quasi philosophique menée par le biais de l’électroquant, presque plus humain que la plupart des humains de cette société ultra-communautarisée.
On plonge dans Les Rêves qui nous restent comme dans une eau trouble dont on ressort un peu poisseux, un peu sali, parce qu’évidemment le genre ne fait pas oublier le propos plus profond sur la technologie à outrance, la big-brotherisation de notre espace de vie et la marchandisation de tout, l’hyper individualisation de la société et le talent des puissants pour monter les opprimés les uns contre les autres plutôt que de leur laisser l’opportunité de songer que peut-être l’ennemi est autre.
Avec son style tantôt abrupt, tantôt poétique, ses phrases simples et souvent choc (« Ce sont les humains qui se trompent et c’est normal : l’erreur est humaine. » p. 133), Boris Quercia nous assène encore une bonne claque.
agathe de lastyns
Boris Quercia, Les Rêves qui nous restent, traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi & Gilles Marie, Asphalte, octobre 2021, 208 p. – 20,00 €