Métaphysique de la bouffonnerie (ou inversement)
L’histoire des trois frères est projetée en lettres graffiti sur l’écran devant lequel se tient un personnage immobile, en front de scène. Le tableau de leur dépendance/répulsion à l’égard de la figure de leur père est rapidement dressé. Les lettres en viennent à se superposer, à se brouiller quand le tempo de la musique se fait plus incisif, sa tonalité plus aiguë.
Se succèdent alors les scènes présentées comme des tranches de vie indépendantes les unes des autres, jouées sur un air d’impromptu. Chacune des situations loufoque, cocasse ou typique semble faite pour conduire les personnages hauts en couleur à puiser dans leurs dernières ressources, à explorer leurs ultimes retranchements.
Le propos est vif, souvent comique, parfois absurde. On assiste à une saga familiale archétypique, nourrie de caractères tranchés et attisés par leur opposition.
Alternant incessamment entre récits pittoresques et interrogations métaphysiques, le spectacle, contrairement à la pièce Le grand Inquisiteur, présentée l’année dernière par Sylvain Creuzevault, suit la trame du récit de Dostoievski. La contestation de dispositions d’héritage prend vite l’aspect d’une bouffonnerie.
Le plus jeune de la fratrie, Alexeï, joue parfois le rôle de présentateur : il annonce l’entracte (durant lequel un intermède est présenté), délivre à terme un ultime enseignement.
Les masques, l’accentuation des caractères produit une véritable typologie : le viveur impulsif, le mystique de l’intellect et le fidèle candide prennent place dans une cavalcade cynique et drolatique. La mise en scène un peu foutraque inscrit les événements dans un registre street art et suscite l’impression d’une improvisation permanente.
L’histoire est dynamisée autant que dynamitée par la perspective adoptée : tourner systématiquement en dérision les événements. Cette trouvaille, qui prend au mot le texte de Dostoïevski pour le subvertir en accentuant ses traits, a ses travers. Car pour révéler, on surdétermine, au risque d’écraser le propos : la représentation se tient sur cette ligne de crête.
christophe giolito
Les Frères Karamazov
d’après Fédor Dostoïevski
adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault
artiste associé / création
© Simon Gosselin
avec Nicolas Bouchaud, Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Blanche Ripoche, Sylvain Sounier et les musiciens Sylvaine Hélary, Antonin Rayon.
Traduction française André Markowicz ; dramaturgie Julien Allavena ; scénographie Jean-Baptiste Bellon ; lumière Vyara Stefanova ; création musique Sylvaine Hélary, Antonin Rayon ; maquillage Mytil Brimeur ; masques Loïc Nébréda ; costumes Gwendoline Bouget ; son Michaël Schaller ; vidéo Valentin Dabbadie.
Au théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, 75006 Paris, du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h, avant-premières les 20 et 21 octobre, relâche le dimanche 24 octobre, durée 3h15 (avec un entracte). https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2021–2022/spectacles-21–22/les_freres_karamazov_2122
Production Le Singe, coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris, Théâtre national de Strasbourg, L’empreinte – scène nationale Brive-Tulle, Théâtre des Treize vents – centre dramatique national de Montpellier, L’Union – centre dramatique national de Limoges, La Coursive – scène nationale de la Rochelle, Bonlieu scène nationale – Annecy, avec le soutien de l’Office artistique de la région Nouvelle-Aquitaine, avec le Festival d’Automne à Paris.
La compagnie est soutenue par le ministère de la Culture/Direction générale de la création artistique Nouvelle-Aquitaine.
Les Frères Karamazov, de Fédor Dostoïevski, traduction André Markowicz, est publié aux éditions Actes Sud, coll. « Babel », 2002.
Tournée 2021 – 2022 :
23 et 24 novembre — L’empreinte – scène nationale Brive-Tulle
12 au 14 janvier — Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier
17 et 18 février — Points communs – scène nationale de Cergy-Pontoise
11 au 19 mars — Théâtre national de Strasbourg
24 et 25 mars — Bonlieu – scène nationale d’Annecy
13 et 14 avril — La Coursive – scène nationale de La Rochelle
29 et 30 avril — Teatro nacional São João – Porto