Quand la Grande Guerre se mêle à la mythologie…
Paru initialement en janvier 2015 chez Glénat, cet album s’inscrivait dans les commémorations du centenaire de la Grande Guerre. La présente réédition a été revisitée.
Le pilote d’un coucou s’échoue sur une île. Il essaie de sauver quelques caisses de son chargement. Deux ans plus tôt, en France en 1913, un public médusé assiste au spectacle de voltige d’un pilote cascadeur. Celui qui enchaîne les figures audacieuses est Céleste Bompart. C’est un as dans son domaine et il collectionne les succès auprès des dames.
La guerre de 1914 met fin à ses exploits. Il est enrôlé pour livrer le courrier des soldats avec un biplan. Lors d’une mission, il est pris pour cible et son avion est touché.
Nouveau Robinson, il s’adapte à sa nouvelle vie sur cette île déserte, se construit une hutte, tente de pêcher, rêve aux femmes. Le soir, devant son feu de bûches, la solitude lui pèse. Il repense alors aux lettres qu’il transportait et commence à lire les déclarations enflammées que font les soldats à leurs épouses, fiancées, maîtresses…
C’est en chassant une biche qu’il découvre, au cœur de l’île, un bassin au pied d’une cascade où un groupe de femmes se baignent nues. Or, un homme, dans cette société totalement matriarcale, est considéré comme un suppôt de Satan… Il est fait prisonnier et emmené sans ménagements…
Les lettres que Céleste lit exprime l’envie des hommes de retrouver un contact étroit avec les femmes, de poser la joue sur un sein… Mais il ressort que nombre de missives expriment la peur, la boue, la mort, la description d’un enfer, le peu de chances de sortir vivant de cet abime où tant s’engloutissent.
L’auteur décrit une société de femmes qui rappelle celle des Amazones, ces guerrières légendaires que le plus grands héros grecs ont affrontés. Céleste va habilement utiliser le contenu des courriers.
Avec beaucoup d’humour, un humour souvent grinçant, Zanzim malmène un héros habitué à être le maître face aux femmes, qui se retrouve dans des situations bien humiliantes. Il multiplie les péripéties vécues par son héros, d’abord en solitaire, puis entouré de femmes qui le considèrent comme un reproducteur sans beaucoup d’intérêt, jusqu’à ce qu’il trouve le moyen de les séduire. Mais l’astucieux Zanzim propose un dénouement inattendu et fort surprenant. Une belle pirouette narrative !
Dans une des lettres lues par Céleste, le soldat imagine sa belle dégrafant son soutien-gorge pour dévoiler ses lourds seins… Or, il y a peu de chances qu’il puisse le faire. Si le soutien-gorge moderne a été présenté lors de l’Exposition universelle de 1889, celui-ci n’a réellement été porté, par la majorité des femmes, que dans l’Entre-deux-guerres…
Le dessin de Zanzim se rapproche de celui qui était proposé à l’époque où se déroule le récit tant pour les personnages que pour les décors. Son personnage en tenue d’aviateur rappelle les meilleures bandes dessinées telles que Bécassine, Les pieds Nickelés… Il propose une mise en page dynamique et une série de belles plastiques plus modernes.
La mise en couleurs d’Hubert restitue l’ambiance d’une île qu’on peut situer sous les Tropiques où règnent une belle chaleur et une grande luminosité.
Ce conte féministe de Zanzim est à découvrir pour la richesse d’un scénario qui montre la Grande Guerre, réétudie un moment de la mythologie grecque, pour son humour et son graphisme attractif et singulier.
Découvrir un extrait
serge perraud
Zanzim (scénario et dessins) & Hubert (couleurs), L’île aux Femmes, Glénat, coll. “1000 Feuilles”, octobre 2021, 96 p. – 20,00 €.