Christine Peltre, Vers l’Orient — Géographies d’un désir

Du simoun dans les palmes

Dans une écri­ture par­faite, claire et altière Chris­tine Peltre, spé­cia­liste de l’Orientalisme sous toutes ses formes, retrace le “déca­drage” de l’Orient que l’Europe occi­den­tale a effec­tué au fil du temps. Notre pays et ses adja­cents ont tou­jours été fas­ciné par l’est et le sud de la Médi­ter­ra­née et ses au-delà.
Et cela pour diverses rai­sons que l’essayiste rap­pelle : recherche des ori­gines, appel de l’exotisme, fan­tasme de sen­sua­lité et, ajoute-t-elle non sans rai­son, “dépré­da­tion symbolique”.

S’inté­res­sant dans ce livre plus par­ti­cu­liè­re­ment à la pein­ture, elle en décode le pit­to­resque que les peintres en ont trop sou­vent retenu. Ils n’ont pas tou­jours eu l’acuité des deux voya­geurs des Lettres per­sanes de Mon­tes­quieu. Moins avisé qu’eux, ils s’y sont laissé absor­bés. On plu­tôt non : ils y ont diva­gué.,
Et dans son livre l’auteure met à l’épreuve des théo­ries les plus récentes ces diva­ga­tions plus ou moins far­cesques mais par­fois néan­moins par­fois sérieuses dans une recherche de l’inaccessible.

L’auteure — à l’écoute de l’Orient des artistes et auteurs du XIX et XXème siècles (Dela­croix, Gau­tier, Flau­bert, Loti, Le Cor­bu­sier, Klee et bien d’autres) — décons­truit cer­taines visions ou idées reçues, en recons­truit d’autres en ce qui tient du récit de voyage, de l’essai et d’une auto­bio­gra­phie intel­lec­tuelle des plus pre­nantes.
Elle montre autant l’attrait des harems et ham­mams que la mise en scène hal­lu­ci­na­toire de pay­sages qui s’oppose à tra­vers ses mots par exemple aux visions d’un Orhan Pamuk sur la vision occi­den­tale de son pays.

Mais il y a plus, par-delà son esprit per­ti­nent d’analyse, Chris­tine Peltre s’abandonne à des confi­dences où la réa­lité de la scien­ti­fique laisse place à l’émotion. Elle rap­pelle tout ce que son approche doit à une “délec­ta­tion soli­taire” ini­tiée autant par les che­mins de sa propre enfance que par ses tra­vaux. Preuve que les “géo­gra­phies incer­taines du désir” naviguent entre savoir et pas­sion.
Les ramures exo­tiques bruissent ici de sen­si­bi­lité et d’intelligence.

Si bien ici que, dans dif­fé­rents filages, fil­trages, voyages et connais­sances accu­mu­lées, l’Orient n’est plus dés­in­carné. Il est sou­vent là en chair et en os dans d’improbables vies et contre­vies, comme dans divers remous là où il y a par­fois du simoun dans les palmes et où les âmes rampent là même où le plai­sir peu éclore toujours.

 
jean-paul gavard-perret

Chris­tine Peltre, Vers l’Orient — Géo­gra­phies d’un désir, L’Atelier Contem­po­rain, coll. Essais sur l’art, Stras­bourg,  octobre 2021, 144 p. — 20,00 €.

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