Italo Calvino, Tourner la page

De l’homme moderne divisé 

Ce livre est un recueil d’essais parus entre la fin des années cin­quante et les années soixante-dix. Il marque un tour­nant dans l’oeuvre d’Italo Cal­vino. S’y tra­versent les décen­nies fer­tiles qui ont été le ter­reau de son ins­pi­ra­tion future.
L’auteur observe com­ment la lit­té­ra­ture et le monde inter­agissent en s’appuyant sur les œuvres et les auteurs qui étaient alors ses contemporains.

Celui qui était écri­vain et par­ti­san fort d’un enga­ge­ment intel­lec­tuel, poli­tique, social et cultu­rel a assisté à plu­sieurs des grandes ten­dances lit­té­raires contem­po­raines, du néo­réa­lisme au post­mo­der­nisme, mais en gar­dant tou­jours une cer­taine dis­tance et en sui­vant une recherche per­son­nelle et cohé­rente. D’où l’impression contra­dic­toire d’essais qui reflètent la suc­ces­sion variée des ten­dances poé­tiques et cultu­relles.
Reste néan­moins une unité sub­stan­tielle déter­mi­née par un ratio­na­lisme plus métho­do­lo­gique qu’idéologique et l’intérêt envers tous ceux qui tentent d’expliquer le monde. L’écriture comme tou­jours chez Cal­vino est lim­pide voire clas­sique. Et se retrouvent ici les maîtres dont Vit­to­rini (l’ami), Bor­gès qui ne sont pas pour rien dans la concep­tion de la lit­té­ra­ture de l’Italien.

Le livre per­met de suivre la pen­sée d’un intel­lec­tuel ouvert et confiant, en désac­cord avec le pes­si­misme lit­té­raire des années 50 et 60. la France n’est pas oubliée, d’autant que l’auteur a démé­nagé à Paris un peu plus tard. A Paris, il mène une vie presque en marge mais il se rap­proche de Georges Perec, Fran­çois Le Lion­nais, Jacques Rou­baud, Paul Four­nel, Ray­mond Que­neau.
Bref, hors des com­bats marxo-structuraliste il demeure sur­tout plus inté­ressé par l’Oulipo — preuve d’une luci­dité cer­taine. Avec le groupe, il appro­fon­dit sa pas­sion pour la science des maté­riaux et jeux combinatoires.

Ces textes tirés de divers jour­naux sou­lignent ses dif­fé­rents par­tis pris. Ils n’ont pas le même inté­rêt que les fic­tions de l’auteur et leur servent de sau­toir et ce, avant qu’il se ferme presque com­plè­te­ment aux inter­ven­tions poli­tiques et sociales. Pour l’heure, Cal­vino n’est pas encore amer et il est à la recherche du point de fron­tière entre la lit­té­ra­ture et la science ins­piré par Que­neau.
Se dégage sa capa­cité claire de repré­sen­ta­tion de la réa­lité.  Elle com­bine l’engagement poli­tique et une lit­té­ra­ture spon­ta­née et légère. Cal­vino exa­mine le rôle de l’intellectuel dans la société en notant son impuis­sance face à des choses du monde. Et celui qui est un for­mi­dable racon­teur d’histoires trouve tou­jours dans son objec­ti­vité ce qui ne dégé­nère jamais en un enre­gis­tre­ment poli­tique ou social “pur”.

Ses essais per­mettent de décrire l’homme moderne divisé et inca­pable de trou­ver le juste équi­libre entre le bien et le mal. Ils sug­gèrent une réflexion sur la néces­sité d’être, d’exister.
C’est écrit-il ” la réa­li­sa­tion la plus impor­tante et qui sup­pose que toutes les autres”.

jean-paul gavard-perret

Italo Cal­vino, Tour­ner la page (Pre­mière paru­tion en 2011), trad. de l’italien par Chris­tophe Miles­chi,  Gal­li­mard, col­lec­tion Du monde entier, Paris, 2021, 488 p.

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