Cet album propose une belle et délicate tragi-comédie d’aventures dont les héros sont deux retraités. L’un était notaire, casanier, conservateur, s’étant beaucoup préservé, étant presque hypocondriaque. L’aventure, il la trouve dans les récits que lui fait son voisin, un baroudeur ayant vécu mille vies sur terre et sur mer. Mais, entre réalité et fantasmes, la frontière est parfois mince.
Et quand Amédée a la révélation que son ami puisait ses exploits dans les albums de Pinpin, un héros de bande dessinée, qu’il avait lu Henry de Monfreid, Joseph Conrad, Kessel…, la déception est grande.
Amédée Petit-Jean, notaire à la retraite, écoute avec attention le récit des aventures de Joseph son voisin, un conteur hors-pair. Celui-ci raconte ses voyages et les dangers encourus. Amédée rentre chez lui, la tête pleine de scènes exotiques. Son épouse l’attend lui prédisant qu’il va être malade avec le rhum qu’il a bu.
Au matin, l’aventurier fait des pompes, nu dans son jardin, quand il est victime d’un infarctus. Après l’inhumation, le maire demande à Amédée s’il sait comment Joseph a géré sa succession, car personne n’a d’information. Jo avait parlé d’un enfant à l’étranger, conçu lors d’une histoire sulfureuse et compliquée.
Quand Amédée apprend, par le maire, que Joseph, contrairement à ce qu’il a toujours affirmé, n’est pas né à Tananarive mais à Charleville, il est déstabilisé. Il propose alors de faire quelques vérifications.
Il part alors avec son vieux cabriolet consulter les registres d’état-civil relatifs à son voisin. Il est rejoint par le fantôme de celui-ci. Ils se disputent quand il a appris qu’il a été marié deux fois en France, qu’il a divorcé autant de fois. Et il se lance à la recherche de l’enfant, l’héritier de Jo…
Le scénariste illustre deux aspects d’une vie, deux caractères différents. L’un accepte son inertie, sa vie tranquille, son embourgeoisement, l’autre aurait voulu vivre comme un aventurier, réaliser des rêves d’enfant quand il tremblait face aux dangers encourus par son héros de papier. Sur un ton de comédie, l’auteur joue avec ce qui est vrai, ce qui est faux.
L’aventure est à l’aune de chacun et, pour Amédée, partir sur les routes, faires des rencontres plus ou moins agréables, plus ou moins poétiques, vaincre son inaction et les difficultés que lui pose son corps, est une victoire.
Sylvain Vallée, que l’on ne présente plus tant son talent est connu et reconnu, assure un dessin quelque peu caricatural pour ses personnages, mais si expressif et si attrayant. Cependant, il leur donne des attitudes bien réelles, les rendant vivants dans une mise en scène réaliste. Les décors, divers et variés, sont superbes dans leur banalité : des villas, des immeubles, des routes, des appartements ordinaires, qui sont magnifiés.
La mise en pages est à l’avenant, avec des travelings surprenants.
Avec Tananarive, les auteurs démontrent que l’on peut proposer une histoire magnifique avec le quotidien de millions d’individus, placer une intrigue à la chute spectaculaire mise en pages de façon magistrale.
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serge perraud
Mark Eacersall (scénario et dialogues), Sylvain Vallée (mise en scène et dessin) & Delf (couleurs), Tananarive, Glénat, coll. “1000 Feuilles”, septembre 2021, 120 p. – 19,50 €.