Le dernier combat vaut-il la peine d’être mené ? Et d’ailleurs est-il perdu par avance ? Le magnifique livre codirigé par Jean Sévillia et Jean-Christophe Buisson répond par l’affirmative à la première question, et par la négative à la seconde.
L’histoire des pays envahis, des civilisations condamnées, des peuples persécutés est jalonnée de ces épisodes à la fois tragiques et héroïques, où les derniers combattants mènent la dernière bataille qu’ils savent perdue.
Depuis les Spartiates de Léonidas jusqu’aux Kurdes de Kodané, une pléiade d’auteurs étudie un épisode particulier. Certains de ces ultimes engagements sont connus, mais la majorité a sombré dans un oubli d’où le spécialiste les extrait : derniers combats des Byzantins, des Jacobites écossais, des Indiens du Canada, des Zouaves pontificaux.
On n’en finirait pas de citer la liste. En tout 25 épisodes.
Plusieurs éléments ressortent de ce dense travail. Tout d’abord, les raisons pour lesquelles est mené ce combat parmi lesquelles la fidélité à une cause, à un personnage ou à Dieu s’impose largement. Sinon pourquoi les fidèles des Stuart auraient-ils combattu avec cette rage de vaincre décrite par Christophe Parry ? Les chouans luttèrent, explique Jean Sévillia, toujours pour la même cause : Dieu et le roi, même contre Napoléon durant les Cent-Jours.
Comme les Zouaves fidèles à un pape abandonné de tous et victime du Risorgimento (Christophe Dickès).
La religion traverse en fait l’ouvrage, depuis les Cathares (Paulin Césari) jusqu’aux chrétiens du Liban (Jean-René Van Der Plaetsen), en passant par les protestants des Cévennes (Agnès Walch) et les Cristeros du Mexique (Isabelle Schmitz), persécutés par le laïcisme fanatique du président Calles, abandonnés par une Eglise encore une fois bien tiède avant d’être livrés et exécutés. Parce que, en défendant sa foi, l’homme défend son pays, sa civilisation, son être le plus profond, son salut, avec cette conviction sourde qu’il lutte pour sa propre survie.
C’est ce qui explique que tant de combats continuèrent après la défaite finale, à faible intensité, comme un bruit de fond d’une réalité qui ne veut pas mourir. Des maquis rouges dans l’Espagne franquiste (Emmanuel Hecht) aux derniers résistants lituaniens contre l’annexion soviétique (Jean-Christophe Buisson), c’était là une puissante motivation.
La politique peut être une foi, une idéologie une croyance presque eschatologique. Que ce soient les communards, écrasés sans pitié dans un Paris qu’ils ensanglantèrent et incendièrent, ou les derniers fanatiques du Reich hitlérien accrochés aux ruines de Berlin (Jean Lopez), ces hommes crurent suffisamment à leur cause pour refuser de déposer les armes, alors même que leur combat était perdu.
Tous ces hommes et ces femmes sortis de l’oubli grâce à cet ouvrage furent habités par une vertu, celle de l’espérance dans la victoire.
Oui, le dernier combat méritait d’être mené, même si, à échelle humaine, il était perdu.
frederic le moal
Jean-Christophe Buisson & Jean Sévillia, Le dernier carré. Combattants de l’honneur et soldats perdus. De l’Antiquité à nos jours, Perrin-Le Figaro Magazine, octobre 2021, 384 p. — 21,00 €.