Stephen Desberg & Emilio van der Zuiden, Aimer pour deux

Une femme libre, avide de vie…

Ce récit mêle une his­toire vraie et des élé­ments de fic­tion. Ste­phen Des­berg s’appuie en par­tie sur des épi­sodes de la vie de sa mère qui a vécu une situa­tion simi­laire.
C’est parce que ses parents sont décé­dés qu’il s’autorise à racon­ter une par­tie de leur histoire.

À Paris, quelques mois après la Libé­ra­tion, une femme signe une feuille imper­son­nelle par laquelle elle renonce à tous ses droits sur sa fille. Monique laisse à Fran­cis, son époux, le soin de s’occuper de Nicole, âgée de trois ans. Elle le fait en espé­rant que la petite sera heu­reuse avec son père. Le récit revient en mars 1941 quand Monique rejoint sa sœur, à Paris. Elle est émer­veillée par tout ce qu’il y a à décou­vrir. Elle est impa­tiente de vivre, d’être libre.
Elle accepte de déjeu­ner avec un ancien sta­giaire qu’elle a connu dans le maga­sin de ses parents. Celui-ci n’est plus le jeune homme timide d’alors mais un offi­cier alle­mand qui lui demande d’être son infor­ma­trice sur les milieux qu’elle va fré­quen­ter. C’est à Fran­cis qu’elle raconte cette mésa­ven­ture, un homme divorcé, plein d’humour et très dis­po­nible. S’il est amou­reux d’elle, elle ne le consi­dère que comme un ami. Elle veut faire ce qui lui plaît, fré­quente assi­du­ment un caba­ret où offi­cie Gin, un pia­niste noir.

Un soir, elle assiste à l’arrestation d’une femme et de ses filles, entend un coup de feu. Bou­le­ver­sée elle se réfu­gie chez Fran­cis et passe la nuit avec lui.
Elle est enceinte. Si elle prend la nou­velle avec défiance “…étran­gère à l’idée d’avoir un enfant et un ave­nir déjà tracé, déjà éteint.”, lui exulte. Ils se marient. Mais Monique vit mal cette situation…

Stephen Des­berg expose un moment de la vie d’une jeune fille libre pen­dant les années où Paris a été occupé par l’armée alle­mande. Il relate les moments d’amusement, les nuits dans les caba­rets, les ren­contres, la danse, la musique, les révé­la­tions. Il raconte des évé­ne­ments plus dra­ma­tiques comme les arres­ta­tions, les rafles, la pré­sence pesante de l’occupant, la sur­veillance de cet ex-stagiaire. Il décrit les liens plus ami­caux qu’amoureux que Nicole noue avec Fran­cis.
Avec cette his­toire, le scé­na­riste aborde un sujet peu évo­qué, voire dis­si­mulé, celui du refus de la mater­nité. À tra­vers Nicole, c’est ce ques­tion­ne­ment qui est posé. Pour quelle rai­son une femme doit obli­ga­toi­re­ment être mère. Certes, bio­lo­gi­que­ment, c’est à elle que revient cette tâche. Mais pour­quoi une femme ne s’épanouirait-elle pas dans d’autres domaines ?

Le scé­na­riste construit un per­son­nage atta­chant, d’une grande pro­fon­deur, qui se cherche, qui espère un bel ave­nir qu’elle ne trou­vera pas dans la situa­tion où est pla­cée. Il entoure son héroïne de per­sonnes cap­ti­vantes, comme ce pia­niste de jazz, com­plè­te­ment immergé dans la musique, Manon, une femme soli­taire qui fré­quente nombre d’officiers alle­mands, un peintre. Et Fran­cis qui ne conçoit pas la vie sans Nicole.
Ste­phen Des­berg donne une belle impor­tance aux réci­ta­tifs dans les­quels Nicole exprime ses opi­nions et ses émotions.

Emilio Van Der Zui­den assure un des­sin réa­liste, uti­li­sant les traits légers de la ligne claire, lais­sant une large place à la cou­leur mise en œuvre par Fabien Alquier. Les per­son­nages sont cam­pés avec soin, constant tout au long des planches et dotés d’une belle expres­si­vité. Les décors servent le récit, foca­li­sant l’attention sur des points pré­cis. La colo­ri­sa­tion res­ti­tue une ambiance lourde, pesante avec des teintes ternes.
Il faut se rap­pe­ler que l’époque était aux pénu­ries, que le prin­ci­pal man­quait au pro­fit de l’Allemagne. Les vête­ments n’avaient pas de cou­leurs écla­tantes et, comme ils étaient rares, por­tés longtemps.

Aimer pour deux, c’est ce que pro­pose Fran­cis. C’est un récit riche en émo­tions, narré de belle manière, sou­le­vant nombre de ques­tion­ne­ments, porté par un gra­phisme de bien belle facture.

serge per­raud

Ste­phen Des­berg (scé­na­rio), Emi­lio van der Zui­den (des­sins) & Fabien Alquier (cou­leurs), Aimer pour deux, Bam­boo, coll. “Grand Angle”, sep­tembre 2021, 80 p. – 16,90 €.

 

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