Les médias ont braqué leurs projecteurs sur le Vatican à l’occasion de la tenue du conclave chargé de trouver un successeur à Benoît XVI. Ils en ont suivi les étapes avec un grand intérêt. C’est d’autant plus curieux quand on connaît leur hostilité (pour l’immense majorité d’entre eux) à l’encontre de l’Eglise catholique et de son chef. Mais enfin, ces braves cardinaux offrent de belles images, et c’est cela qui compte…
Il suffit d’avoir un peu de connaissances sur la papauté pour se rendre compte des innombrables âneries proférées doctement à cette occasion. Espérons que, la prochaine fois, les journalistes auront lu attentivement le livre d’Yves Chiron. Ce spécialiste des questions religieuses connaît bien son sujet et maîtrise les deux mille ans d’histoire du siège apostolique. L’ouvrage a beau être assez court, les pages sont denses et riches en informations.
L’Eglise catholique est toujours accusée d’immobilisme. Pourtant, l’étude d’Yves Chiron montre que la papauté n’a pas cessé de modifier les conditions du choix du successeur de Pierre, depuis la formule « par le clergé et le peuple » (soyons rassurés, cela n’avait rien de démocratique) jusqu’aux scrutins actuels nécessitant deux tiers des voix pour être élu. Les lieux de l’élection ont souvent varié (du Vatican au Quirinal, en passant par des villes italiennes ou françaises). La durée des conclaves est très variable. Elle peut s’étendre sur plusieurs mois. On imagine le scandale aujourd’hui ! La manière de l’élection est variée (adoration, compromis, vote, accessus), jusqu’à ce que le vote proprement dit l’emporte.
C’est donc par étapes (l’auteur retient trois dates principales, 1059, 1179 et 1274, mais avec une infinité de perfectionnements et de modifications au long des âges) que l’élection pontificale s’est construite jusqu’à celle que nous connaissons aujourd’hui. S’il existe une permanence, c’est bien dans l’intérêt, pour ne pas dire les passions, que le choix d’un souverain pontife n’a cessé de susciter. Tout le monde veut agir, influencer le vote, faire élire le candidat de son choix, depuis les empereurs du Moyen Age jusqu’aux souverains de l’époque moderne, en passant par la noblesse romaine. Même les dirigeants contemporains maintiennent les pressions (avec le veto autrichien sur Mgr Rampolla en 1903 et les stupéfiantes manœuvres des républicains français !). D’ailleurs, on pourrait rajouter qu’aujourd’hui les médias aimeraient jouer ce rôle de faiseurs de pape !
Les cardinaux eux-mêmes ont parfois utilisé des méthodes douteuses, manœuvres, corruption et népotisme entre autres. A ce propos, le livre montre très bien les capacités de l’Eglise à mettre fin aux abus qui la défigurent, en légiférant pour les écarter. Ainsi en est-il du népotisme. Depuis des siècles, les papes cherchent à perfectionner leur mode de désignation pour le rendre le moins mauvais possible. Le dernier en date est Benoit XVI… Selon Yves Chiron, la réforme contemporaine la plus importante est celle de Paul VI, interdisant aux cardinaux de plus de 80 ans de participer au vote. Elle suscite, il est vrai, de réelles interrogations. L’éloge de la vieillesse que vient de faire François Ier annonce-t-elle une nouvelle réforme ?
Un dernier, court et très intéressant chapitre revient sur l’évènement historique de la renonciation du pape Ratzinger. On se sent frustré de ne pas avoir l’avis de l’auteur sur l’élection de François Ier qui comporte son lot de surprises ! L’histoire de la papauté est remplie de conflits, de catastrophes, de grandeurs. Le conclave en est une illustration. Institution unique en son genre, il matérialise la nature hors du commun de l’Eglise.
frederic Le Moal
Yves Chiron, Histoire des conclaves, Perrin, mars 2013, 268 p., 21 €