« Une croix de lumière qui transperce le béton »
La belle et riche revue du TNS de Strasbourg, Parages, dirigée par Stanislas Nordey a publié son dixième numéro en octobre 2021.
Elle fait la part belle depuis 2015, aux auteures et autrices français et étrangers du théâtre contemporain soit en leur consacrant des numéros spéciaux (Falk Richter, Pascal Lambert ou Claudine Galea récemment) soit sous la forme de « focus » et divers entretiens et chroniques.
Ses contributeurs et contributrices appartiennent toutes et tous à la galaxie théâtrale : éditeurs, metteurs en scène, traducteurs, auteurs et autrices, universitaires… Des photographies accompagnent les textes comme pour restituer la dimension visuelle du domaine dramatique.
Ce dernier opus met en avant, en « focus » d’une part, Elfriede Jelinek et d’autre part, Tiago Rodrigues, c’est-à-dire deux noms marquants du théâtre européen. Le travail de Jelinek est remis dans une perspective nécessaire, à savoir replacer son œuvre récompensée par le Nobel de Littérature en 2004, dans une trajectoire qui vient de la poésie et qui désormais s’impose aussi dans l’écriture théâtrale même si, pour nombre de lecteurs, elle est surtout la romancière de la Pianiste ou de Lust, le cinéma de Hanecke, ayant sans doute contribué à mettre en lumière particulièrement ce genre littéraire-là.
Cinq poèmes : le baiser, nous, jeu avec grand-père, plainte, comment ils se retrouvèrent face à face de splendides gardes champêtres, les deux montrent l’humour et l’ironie et l’autodérision ainsi que l’éclatement de la langue chez Jelinek et comment son écriture à partir de formes courtes est devenue ample et « surélevée. ».
Les articles consacrés à Rodrigues, qui a été nommé, à la suite d’Olivier Py, nouveau directeur du Festival d’Avignon, soulignent la continuité dans ses œuvres, l’idée du passage de l’écrit dans le corps comme parole réellement incarnée sous différentes approches : celle de l’apprentissage par coeur du texte, dans Bye heart ou le jeu de l’intertextualité dans Bovary puis enfin, la réécriture des tragédies antiques et shakespearienne. Les mises en scène de ces textes incarnent ce jeu fondamental.
Mais ce qui retient l’attention dans ce dernier numéro, c’est sans doute l’éditorial de Frédéric Vossier sous la forme d’un hommage à Lars Noren disparu du covid en janvier 2021, et auteur de la pièce, La force de tuer, écrite en 1978, mettant en scène un fils et son père face à une jeune femme convoitée par les deux hommes. Pièce sur le pouvoir des pères et du capitalisme moderne, traduisant les égarements du monde contemporain alors que le monde, l’Europe de 2021 sont secoués par le populisme, la violence faite aux femmes, aux « étrangers » en pleine pandémie. Avertissements lancés à nos démocraties. Lars Noren ne disait-il pas qu’il travaillait à « une ontologie dramatique de son temps ». Le théâtre est bien politique.
Rendez-vous au prochain numéro donc.
marie du crest
TNS en collaboration avec les Solitaires Intempestifs, octobre 2021 — 15,00 €.