Peut-on prendre plaisir à lire une biographie de près de 600 pages sur un personnage connu en réalité d’une manière superficielle, originaire d’un pays lointain dont on ignore presque tout de l’histoire ?
A priori non. Et pourtant, la lecture de la biographie de Mohammad Réza Pahlavi, qui entre dans la catégorie susnommée, procure un plaisir intellectuel rare. Ecrite par deux grands spécialistes de l’Iran (dont l’un a été un acteur des évènements de 1978–1978), elle est un véritable monument.
Certes, n’étant pas un grand connaisseur de l’histoire iranienne, je me garderai bien de porter un regard critique sur le fond et la pertinence des évènements relatés, des analyses sur tel ou tel personnage dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. Certes, on peut parfois se perdre dans les noms quelque peu complexes, des individus, des régions, dont les auteurs parlent.
Mais cela, je pense, n’enlève rien aux qualités évidentes de cet ouvrage. Il est écrit dans un style très clair, brosse des portraits passionnants et ne cède jamais à l’hagiographie. Les auteurs ne sont pas des défenseurs acharnés du Shah. Ils pointent ses défauts, ses manques, sa vanité, son aveuglement qui se révèlera dramatique. Cela leur permet de bien expliquer les ressorts de la catastrophe de 1979.
A ce propos, on retiendra le rôle néfaste de l’administration Carter dans ce terrible processus. En abandonnant le Shah, ce président a ouvert la voie à la prise du pouvoir des mollahs. Cela, on le sait. Mais l’abandon et surtout l’acharnement mis à chasser Réza Pahlavi du pouvoir, puis à le poursuivre y compris dans l’exil et la maladie sont pathétiques. Carter n’en sort pas grandi, pas plus que Giscard et la clique des intellectuels français qui chantaient les louanges de Khomeiny (leurs héritiers applaudiront quarante ans plus tard les révolutions arabes aux lendemains qui chantent…).
Il faut en fait se méfier : quand on chasse les rois, on ne sait jamais qui les remplace…
Ce livre nous dévoile des décennies d’histoire de l’Iran, de son peuple et de ses dirigeants. Les luttes de pouvoir y sont implacables, le désir d’indépendance acharné. On se rend compte à quel point ce pays a joué un rôle important dans les relations internationales depuis le XIXe siècle. On découvre la profondeur des réformes entreprises par le Shah pour le moderniser, en faire un pays moderne et puissant ; dessein qui l’aveuglera.
Les auteurs nous décrivent un homme qui a soif d’action. Il veut régner et gouverner. Grand amateur de femmes, marié à trois reprises, il est un homme cultivé qui connaît bien l’Occident pour y avoir passé sa jeunesse (on retient le rôle majeur joué par son père dans sa formation de futur souverain). Il connaît une fin pathétique qui ne fait honneur à personne, si ce n’est au président Sadate. Un destin incroyable, un grand règne et un excellent livre.
frederic le moal
Houchang Nahavandi, Yves Bomati, Mohammad Réza Pahlavi, le dernier Shah, 1919–1980, Perrin, janvier 2013, 617 p. - 27,00 €
Le Shah : un grand règne méconnu en Occident
Réponse nécessaire à des décennies de désinformation et de controverse, cette salutaire biographie royale, très documentée, permet de mesurer la grande perte pour l’Iran, l’Occident et le monde que fut la dramatique chute du Shah d’Iran, roi moderniste et éclairé, philo-occidental mais avant tout francophile érudit et passionné, renversé par une Révolution obscurantiste fomentée depuis Neauphle-le-Château à partir d’un pays ami.
Une lecture éclairante qui permet en outre de mieux appréhender, avec le recul de l’Histoire, la genèse des enjeux historiques et politiques actuels.
Le Persan royaliste que je suis aura bien sûr été sensible à la justesse et à la pondération de la recension de l’historien Frédéric Le Moal qui, s’étant affranchi des ornières du politiquement correct, déroge au terrorisme intellectuel régophobique qui, tropisme révolutionnaire oblige, sévit depuis si longtemps en France et, en l’espèce, affecte souvent la perception que les Français ont du Shah d’Iran.
Un grand règne ? Heu… faut pas pousser mémé dans les orties, car il y a toujours un avant. Et avant le Shah que se passait-il en Iran ? Une révolution pacifique, une vraie, avec le gouvernement de Mohammad Mossadegh qui avait décidé que l’argent du pétrole ne devait plus aller dans les poches anglaises mais celle du pays pour le moderniser, justement, y construire routes, écoles et hopitaux. Or les occidentaux se sont lassés de ces belles idées qui vidaient leurs poches et donc anglais et américains fomentèrent un coup d’état pour mettre un pion, le Shah, qui servirait d’abord leurs intérêts, et après ceux des Iraniens. Normal que les fondamentalistes religieux soient venus après. Tout comme en Egypte, quand tu voles un peuple, qui plus est, non instruit, il se retourne vers la religion dans tout ce qu’elle a de plus intégriste. Donc le Shah n’est certainement pas un bon dirigeant, ce livre semble donc avoir oublier à dessein bien des petites histoires qui font l’Histoire, afin de tenter de nous démontrer une fois encore que l’Iran d’aujourd’hui est un mouton noir alors qu’à étudier de très près les rouages du pays, certains auraient bien des choses à apprendre…
Apparemment, François Xavier n’a pas lu le livre en question qui affronte avec objectivité aussi bien le règne de Mohammad Réza Pahlavi que l’action de Mossadegh. Rien n’y est ni blanc ni noir. Les dossiers sont là, dans ce livre, et chacun peut s’y faire une opinion, par delà ses propres idées reçues, d’autant plus que de nombreux documents jusque là inexploités ou inconnus pour les Français ou autres commentateurs sont cités. Je ne puis que lui conseiller de s’y référer.