Les contre-pouvoirs aux dogmes et aux idéologies
Jean-Pierre Siméon donne à la poésie un statut de sirène. Mais il faut être précis sur ce terme. Pour le poète, il ne s’agit pas de la chimère aquatique mais de l’outil sonore qui sonne l’alarme.
Celle qui par son chant permet de repenser “poétiquement la vie.”
Et pour que la poésie veuille “mal de mort à la froideur du concept et à l’esprit de système”, l’auteur propose ce qui peut sembler un paradoxe puisqu’il parle de “théorie”. Mais pas n’importe laquelle.
Son ambition n’a pas pour but d’imposer un logos mais l’amour.
Le projet peut paraître naïf et “semble contrevenir au bon sens. Je tiens cependant que c’est trop rapidement en juger” précise Siméon. Cette théorie reste prégnante. Elle réfute tout ce que le monde dit via divers canaux de médiatisations.
Chacun en effet reste “otage des machinologues en tout genre, s’asservit pour notre malheur à la souveraineté d’une abstraction qui s’épargne les démentis du réel.”
Face à cet état de fait, Siméon ose le genre qui tombe en désuétude : la poésie. Elle n’est plus lue. Il suffit de regarder l’espace minimaliste qu’elle tient autant dans les rayons de librairie que chez par exemple les soldeurs ou à Emmaüs. Pour autant, Siméon croit encore à elle et il prouve en en écrivant au nom d’une vérité pour lui première.
Elle assure “la compréhension des choses non surplombante mais impliquée, sensuelle assurément, qui a aussi pour moyen la main et le pied.”
Et cela, pour une raison majeure. Pour Siméon, “la pensée dans le poème a du corps enfin, et c’est le corps du monde, et c’est le corps de chacun”. Chaque poète est donc bien ce “je est un autre” dont parlait Rimbaud. Certes, il n’est plus voleur de feu mais dispensateur de souffle vivant.
Celui qui croise la pulsation du coeur, celui du vent pour disséquer par divers fragments une vérité essentielle : “je suis ton amour et tu es mon amour / si nous parions la vie contre le songe”, ce qui veut dire “franchir et s’affranchir”.
Cette ligne de fond est donc nécessairement une règle générale. Et le poème reste un discours majeur — hélas trop inaudible. Lui seul pourtant “réchauffe le concept et soumet la pensée au vivant contrordre que recèle la liberté native du réel.“
C’est donc en lui que germent les contre-pouvoirs aux dogmes et aux idéologies quel qu’en soit le genre.
Preuve que la théorie de l’amour est un chant de liberté. Il réduit toutes les souverainetés sénatoriales.
jean-paul gavard-perret
Jean-Pierre Siméon, Une théorie de l’amour, Gallimard, collection Blanche, Paris, novembre 2021, 114 p.